Les multiplications des intermédiaires entre les éleveurs et les consommateurs sont à l'origine de la flambée du mouton, dont le prix moyen oscille entre 15 000 et 30 000 dinars. à proximité du marché hebdomadaire de Ouled Fayet, plusieurs maquignons sont affairés à surveiller leurs moutons. Obligés de s'installer hors de l'enceinte souk, ils redoublent de vigilance car affirment-ils : “Ici les vols de moutons sont fréquents.” Les vendeurs fustigent les autorités communales qui les ont contraints cette année à s'installer dans des conditions déplorables. “Regardez, où nous sommes installés. Nous devons porter des bottes car comme vous le constatez nous sommes dans la boue et cela décourage les acheteurs”, s'écrie un maquignon venu de Djelfa. Effectivement en cet après-midi du 3 janvier, les acheteurs sont rares et les automobilistes de passage se contentent de demander les prix sans descendre de leur véhicule. Les acheteurs, qui ne rechignent pas à patauger dans la boue, font le tour des vendeurs en quête d'une bonne affaire, mais en vain : les maquignons semblent s'être donné le mot et les prix affichés sont pratiquement identiques : entre 16 000 et 36 000 DA. Les acheteurs optent souvent pour le premier prix. “J'achète le mouton pour faire plaisir à mes enfants. Je viens d'acheter ce petit agneau à 17 000 DA. Chaque année les prix augmentent”, affirme un père de famille. Contrairement à ce qu'affirment les maquignons, le marché de Ouled Fayet est ouvert et quelques vendeurs y ont déjà pris place. Les rumeurs de fermeture colportées à l'extérieur détournent les clients vers les marchands installés hors du marché. Cette situation ne plaît pas, bien entendu, aux maquignons qui ont opté pour le marché, et certains excédés finissent, eux aussi, par quitter les lieux pour se retrouver dehors avec les autres. Les maquignons se plaignent de la cherté des aliments pour bétail. “L'orge coûte 2 500 DA le quintal. Le fourrage de bonne qualité est cédé à 550 DA le quintal”, tente de justifier un vendeur. Un homme, qui se trouvait à proximité intervient : “Je suis sûr que vos moutons ne sont pas élevés avec des aliments dont vous venez de citer les prix, mais avec du pain. D'ailleurs la qualité de la viande s'est dégradée car les moutons sont engraissés avec du pain”. Le maquignon revient à la charge : “il est impossible à un gros éleveur de nourrir ses bêtes exclusivement avec du pain”. Pendant ce temps des clients continuent à marchander pour faire baisser les prix, et ils arrivent à gagner 1 000 DA au grand maximum. “Les marchands annoncent des prix élevés en prenant en compte une marge de manœuvre. Les acheteurs repartent en croyant avoir réalisé une bonne affaire, mais ils ont payé en réalité le prix décidé par les spéculateurs”, déclare un éleveur venu vendre, lui même, ses moutons. Il en veut aux spéculateurs qui achètent les bêtes à prix très bas auprès des éleveurs. “Ces spéculateurs fixent leur prix et réalisent de gros bénéfices au détriment de ceux qui souffrent toute l'année”, ajoute-t-il. Plus grave encore, il accuse ces revendeurs de ne pas se soucier de la santé des consommateurs : “ces spéculateurs vendent de tout, y compris les moutons sous traitement antibiotique. Normalement, les moutons nouvellement vaccinés ou sous traitement ne doivent pas être sacrifiés car leur viande contient encore des médicaments qui peuvent engendrer des résistances chez le consommateur.” Les clients, après avoir acheté un mouton, s'arrêtent devant les marchands de foin. “Je dois acheter de quoi nourrir le mouton jusqu'au jour de l'Aïd”, affirme un père de famille. Des prix moins élevés à Latraco à Birtouta, au siège de Latraco, une entreprise publique du secteur de l'élevage, les prix proposés sont très abordables, d'ailleurs les clients sont ici des habitués qui reviennent chaque année. “J'achète le mouton de l'Aïd à Latraco depuis plus de 5 ans. Les prix sont abordables et j'ai la certitude d'avoir une bête de qualité, car elles sont contrôlées par des vétérinaires”, dit un client rencontré sur les lieux. Pour sa part, M. Mihoub, directeur général de Latraco, estime : “mon entreprise propose des moutons de qualité à des prix défiant toute concurrence. Nous avons des prix attractifs allant de 14 500 DA et 22 900 DA. Nos prix ont baissé de 4 000 DA comparés à l'année précédente. Notre entreprise dispose de plusieurs écuries où nous élevons nous-mêmes nos moutons, voilà pourquoi nous affichons des prix abordables.” Situés à proximité de l'autoroute, les étables de Latraco offrent plusieurs avantages : le site est gardé est le vol de moutons ou le braquage des clients inexistant. Les moutons sont triés par catégories dont chacune est marquée d'une couleur distinctive correspondant à un prix donné. Les moutons marqués de la couleur noire sont les béliers et ils sont vendus à 22 900DA. Une fois le choix fait, le client se rend à la caisse pour payer. Les écuries proposent une autre opportunité : garder le mouton acheté jusqu'à la veille de l'Aïd contre le paiement de 300 DA. Ceux qui habitent dans des appartements optent souvent pour cette opportunité de gardiennage. Les responsables des écuries estiment que leur entreprise offre des garanties non négligeables. “Nous serons ouverts la matinée de l'Aïd et si des clients découvrent des maladies sur leur mouton, nous procéderons à un changement dans la limite de la disponibilité du cheptel. Sinon, nous remboursons le client. Bien entendu, nous ne rembourserons pas les moutons victimes d'accident chez le client”, précise un responsable de Latraco. Cette année, les maquignons se plaignent de l'intransigeance des autorités qui leur interdisent de s'installer en bordure des autoroutes. “Cette année, nous sommes obligés de nous installer dans des zones reculées loin des grands axes routiers, c'est pourquoi nous ne vendons pas assez de moutons et j'ai peur d'être obligé de rentrer avec mes bêtes la veille de l'Aïd”, se plaint un maquignon. Effectivement, les clients habitués depuis des années à acheter leurs moutons en bordure des autoroutes pensent que les maquignons tardent à venir, or ils sont obligés de s'installer ailleurs. “J'attends que les vendeurs s'installent à Baba Ali pour acheter mon mouton”, affirme un automobiliste rencontré au marché de Birtouta. Les acheteurs, eu égard à la cherté du cheptel, temporisent en souhaitant que les prix baissent à la veille de l'Aïd. De toutes les manières, comme chaque année, les maquignons trouvent que les prix ne reflètent pas la réalité du marché. Pour leur part, les acheteurs estiment qu'ils sont toujours les victimes des spéculateurs qui fixent les prix à même de leur permettre de réaliser des bénéfices faramineux. Pourtant, malgré cette dualité, le jour de l'Aïd, la majorité des Algériens respectera la tradition d'Ibrahim en déboursant 20 000 DA pour un mouton moyen. Saïd Ibrahim