De nombreuses questions se posent quant à la crédibilité de la version de Tigha d'autant que son parcours au sein de l'armée est loin d'être un modèle. Dix ans après l'enlèvement des moines trappistes de Tibhirine, la polémique, née de la multiplicité des versions sur l'identité des auteurs du rapt et de l'assassinat de ces religieux, demeure intacte alors que la justice française peine à élucider cette affaire. La polémique risque, en effet, d'être relancée de plus belle avec les nouvelles déclarations à la presse étrangère de Abdelkader Tigha. Cet ancien sergent-chef, qui se présente comme un officier des services, reprend et réaffirme sa version initiale des faits selon laquelle l'enlèvement des moines a été commandité par les services de sécurité algériens. Une version qui contredit celle des autorités algériennes et françaises et de l'Eglise qui imputent l'enlèvement et l'assassinat des sept moines au Groupe islamique armé (GIA), dirigé à l'époque par le sinistre Djamel Zitouni. L'information judiciaire ouverte par le parquet de Paris en février 2004 a eu comme point de départ les déclarations de Tigha. Mais à ce jour, cette affaire n'a pas encore été élucidée. Depuis, de nombreuses questions se posent quant à la crédibilité de la version de Tigha, d'autant que son parcours au sein de l'armée est loin d'être un modèle. En effet, Abdelkader Tigha n'est guère un “cadre de la sécurité militaire” comme il l'a prétendu, en août 2001, lorsqu'il est sorti de l'anonymat depuis sa prison à Bangkok, mais un sergent-chef qui avait fait l'objet de plusieurs mesures disciplinaires. Il avait été traduit à trois reprises devant le tribunal militaire de Blida, pour “trafic de véhicules, dénigrement et calomnie à l'égard de ses supérieurs et aussi pour menaces proférées à l'encontre du chef de sûreté et du procureur de la République de Blida”. Tigha a prétendu avoir quitté l'Algérie après avoir mené, sur ordre de ses supérieurs, une enquête sur la disparition de deux professeurs affiliés au GIA. Selon les déclarations de Tigha, ces deux hommes ont été torturés et exécutés par la Police judiciaire. Pour Tigha, les résultats de cette enquête, destinés à la Commission des droits de l'Homme de Genève, ont soulevé l'ire de ses supérieurs. Conséquence : Tigha se retrouve confiné à des tâches de routine et son arme lui a été retirée. En décembre 1999, “se sentant en danger”, il s'enfuit via la Tunisie, la Libye et la Syrie pour finir en janvier 2000 en Thaïlande où il sera arrêté trois mois après son arrivée pour avoir volé un touriste thaïlandais et non pour séjour illégal comme il l'a prétendu. Il a été jugé pour vol et recel et a été condamné à une année de prison, au terme de laquelle il a été remis aux services de l'immigration. Recherché, le sergent-chef a fui l'Algérie pour se soustraire à la justice et non pas suite à la prétendue enquête qu'il affirme avoir menée. De là une question coule de source : pourquoi Tigha a-t-il attendu presque deux ans pour faire des révélations sur les prétendues menaces dont il a fait l'objet en Algérie et sur l'implication des services secrets algériens dans les actes terroristes ? La réponse aussi coule de source : elle réside dans la coïncidence de sa sortie médiatique avec le refus du Haut-Commissariat à l'ONU pour les réfugiés à Bangkok de lui accorder le statut de réfugié, le soupçonnant d'avoir commis des crimes contre l'humanité en Algérie. Le sergent-chef dépose ainsi un dossier en appel à Genève et en attendant la décision finale qui devait prendre plusieurs mois, il multiplie les déclarations — dont la véracité reste douteuse compte tenu des mensonges avancés concernant les raisons de sa fuite d'Algérie et celles de son emprisonnement en Thaïlande —croyant provoquer une réponse favorable de la part du HCR. La plus fracassante d'entre elles est celle qu'il avait faite au quotidien français Libération du 23 décembre 2002 dans laquelle il accusait les services de sécurité algériens d'être derrière l'enlèvement des sept moines de Tibhirine. Tigha était alors incarcéré au centre de détention de l'immigration de Bangkok, après avoir essuyé un deuxième refus quant à l'obtention du statut de réfugié politique. Tigha était visiblement prêt à tout pour obtenir le fameux sésame, y compris vendre son âme au diable. R. B.