“De Abane à Boudiaf, combien de crimes ont été orchestrés ?” À cette interrogation, dont l'évocation peut faire encore frémir de nombreux militants algériens pour les droits de l'Homme et les libertés et qui a été chantée par le défunt Matoub Lounès, lui-même victime, ironie de l'histoire, la réponse n'est sans doute pas mince. Autant donc militer pour que de telles pratiques, traînées comme un boulet par l'histoire algérienne, de nombreux crimes l'ayant jalonnées, ne se reproduisent plus. Voilà sommairement l'idée phare retenue, hier, par les participants à une conférence-débat organisée par le FFS au siège du parti à Alger sous le thème : “L'assassinat politique en Algérie.” Le choix du thème n'est pas fortuit, puisqu'il coïncide avec le 19e anniversaire de l'assassinat d'Ali Mecili. Ancien avocat et cadre du MALG (ministère de l'Armement et des Liaisons générales), ancêtre de la redoutable Sécurité militaire que les opposants désignaient sous le vocable de “Sport et musique”, Ali Mecili a réussi, en 1985, à réunir l'opposition à Londres, notamment la réconciliation entre les deux frères ennemis Ben Bella, le premier président de l'Algérie indépendante, et le chef du FFS, Hocine Aït Ahmed. Une année après, il fonde un mensuel Libre Algérie avant d'être assassiné en 1987 devant sa maison en plein cœur de Paris. “Son tueur a été couvert par le duo Andreau et Pasqua”, a rappelé le Dr Salah Eddine Sidhoum, militant des droits de l'Homme. “Toute tentative de rassemblement des forces d'opposition à l'étranger gênait le régime”, a-t-il observé. “C'était un témoin gênant”, a estimé, pour sa part, Lounis Mehala, un sexagénaire, ancien militant nationaliste qui a connu beaucoup de dirigeants de la Révolution, actuellement P/APC de la commune de Timizar, dans la wilaya de Tizi Ouzou. Mais, il n'y a pas que Mecili qui a été “tué” au nom des considérations de pouvoir. Et l'élimination physique remontait même au temps d'avant, pendant et après la Révolution. Si l'assassinat de Abane reste, de par le statut de la victime, l'architecte de la Révolution et le modus operandi, le plus odieux et le plus tragique — attiré dans un guet-apens à Tétouan au Maroc et puis étranglé —, d'autres assassinats n'en sont pas moins terribles. L'élu du FFS énumère une série, mais loin d'être exhaustive. Il y a Chihani Bachir, adjoint de Ben Boulaïd, tué pour des considérations tribales, selon lui. Benai Ouali, Aït Menguellet Mebarek, Aït Hamouda et Ali Ferhat, tués en 1949, lors de la “crise berbérsite” sur de simples “soupçons”. Après l'Indépendance, Khmisti, le plus jeune ministre des AE du gouvernement, sera assassiné par un individu présenté alors comme “ayant des troubles psychiques”. Celui-ci se sera “suicidé” plus tard. Il y a le colonel Chabani, tué après “une parodie de procès” à la cour d'Oran. Mohamed Khider sera, lui, assassiné en 1967 à Madrid. Son tueur, repéré par la police espagnole, se réfugiera à… l'ambassade d'Algérie. Un autre crime non moins connu est celui de Saïd Abid, assassiné dans son bureau, mais présenté comme un suicide. Ses tueurs ont laissé un écrit où la victime aurait soi-disant refusé de prendre part au conflit qui opposait en 1967 Tahar Z'biri à Boumediene. Il y a également un certain Terbouche, ami de Krim, assassiné en 1970 à Francfort en Allemagne, fauché par une voiture en plein cœur de Tunis par des inconnus. Plus près de nous, il y a Boudiaf, Kasdi Merbah, Mahiou, Djaout ou encore Hachani dont le fils était présent dans la salle. “Ce qui est intriguant, c'est qu'on tue ceux qui ont un niveau politique”, remarque Mehala. S'il consent que notre pays n'a pas le monopole du crime politique, qu'il n'est pas propre à notre société, il reste que, selon lui, la solution pour transcender cette pratique réside dans l'instauration d'un pays de droit. KARIM KEBIR