Dans le hall d'entrée, une liste écrite au feutre porte les noms, les adresses et les lieux des funérailles des victimes. “Nous continuons à faire un métier à risques. Les gars, qui sont là-bas, doivent constamment être sur leurs gardes et s'entourer de toutes les précautions”, affirme cet agent. Leur point d'arrivée n'est plus Ouargla puisqu'ils devaient prendre part à un séminaire, mais quatre cimetières de la capitale où ils ont été mis en terre hier dans l'après-midi après la prière d'El-Asr. Khebouza Krim, directeur régional, Ahmed Attar, chef d'inspection et divisionnaire, Hamadache Ahmed et Naït Amal Farid, agents, ont été surpris par la mort vendredi matin à mi-chemin entre Béchar où ils travaillaient et Ouargla. En compagnie de leurs collègues, ils faisaient une pause quand des coupeurs de routes ont fait irruption pour les vouer au repos éternel. 13 est le bilan de la tuerie suite à laquelle les corps des victimes ont été dispersés à travers Béchar, Métlili, Oran, Chlef et Alger comme les cendres d'une décennie noire à rallonge. Aïn Naâdja, Baïnem, Dély-IBrahim et Tipasa sont les cimetières où les douaniers d'Alger ont été enterrés. Où aller ? À qui faire ses derniers adieux ? À la Direction générale des douanes, cette question taraude les employés, surtout ceux ayant connu et travaillé avec les défunts. Des regards fuyants et graves portent l'habit du deuil. Quelques employés ont appris la funeste nouvelle ce samedi matin à travers les journaux, d'autres sont au courant depuis vendredi. Au milieu du charivari urbain où elle est implantée, l'institution douanière respire une fausse sérénité, de l'abattement. Dans le hall d'entrée, une liste écrite au feutre porte les noms, les adresses et les lieux des funérailles des victimes. “Que Dieu leur accorde Sa Miséricorde”, prie un agent qui scrute le triste encart. “Que voulez-vous ? C'est le destin”, commente-t-il résigné. Les dépouilles de Khebouza, Attar, Hamadache et Naït Amal sont arrivées en milieu d'après-midi à l'aéroport militaire de Boufarik où les attendait une délégation des douanes ; le directeur général, Sid-Ali Lebib était à bord de l'avion. Il revenait de Béchar où il a assisté aux obsèques des 4 autres employés natifs de cette ville. “Le rendez-vous a été pris ici à la direction et le convoi s'est dirigé ensuite vers l'aéroport”, relate un préposé à la sécurité. Il connaissait très bien Khebouza et Attar pour les avoir côtoyés. “Ils étaient de braves hommes”, répond-il déconcerté à une question qui somme toute est inopportune. Les douaniers ont du mal à exprimer leurs impressions, ils les miment par des regards confus qui embrassent le sol, s'élèvent au ciel en signe d'impuissance. Parmi tous les corps de métier ayant été ciblés par le terrorisme, les douanes ont payé un lourd tribut. 110 employés ont été tués depuis le début des années 90. Il y a deux ans, 7 douaniers étaient assassinés à Ouargla. La connexion des groupes terroristes avec les contrebandiers les a exposés plus ardemment. “Nous continuons à faire un métier à risques”, se résigne un agent. Au sud du pays, où les éléments du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) sont encore actifs, la tâche est loin d'être une partie de plaisir. “Les gars, qui sont là-bas, doivent constamment être sur leurs gardes et s'entourer de toutes les précautions”, soutient-on ici et là. Avec 13 ans de service pour l'un et 3 ans pour l'autre à Béchar, Attar et Khebouza pensaient avoir conjuré le sort. Il n'en fut rien… Leurs collègues ne cherchent même pas à connaître les circonstances de leur assassinat. Le scénario se répète depuis 13 ans. En novembre 1993, 6 douaniers étaient égorgés à Aïn Témouchent. Samia Lokmane