La partie de bras de fer franco-américaine a diminué d'intensité. Après l'animosité, place à la réalpolitik. La vieille europe a mis de l'eau dans son vin. Elle a arrondi ses remontrances à l'égard des Etats-Unis qu'elle sait incontournable et dont elle reste interdépendante dans plusieurs domaines : commerce, technologie, défense et même politique. Bâtie sous le parapluie tansatlantique, l'Europe sait que c'est toujours ce même parapluie qui garantit son niveau et sa place dans le monde. Les Américains ne se sont pas empêchés de le rappeler aux Français, plus qu'aux Allemands qui, eux, ne disposent pas de droit de veto au Conseil de sécurité. A Bruxelles, Français, Allemands et Belges ont fait machine arrière. Pour ne pas perdre la face, la poire a été coupée en deux. Le sort des irakiens ne dépend pas que de Bush. Saddam doit faire la preuve qu'il n'a plus d'armements de destruction massive et il doit savoir que le temps, pour lui, “est compté”. Exit tout le temps qu'il faut pour une inspection minutieuse. Les Etats-Unis n'en exigent pas plus. Avec des airs plus guerriers. Ils s'en tiennent à la résolution 1441 du Conseil de sécurité que Bush considère, en soi, comme une autorisation à la guerre. Au moment où l'UE recollait ses morceaux à un jet de pierres, les membres de l'Otan s'accordaient eux aussi pour prêter assistance à la Turquie, lorsque la guerre éclatera. Un coup d'épée dans l'eau, puisque Bush y a déjà mis en alerte les bases qui avaient servi en 1991. Pour les membres de l'Otan, il s'agissait de montrer que le pacte transatlantique est sorti indemne de la fièvre déclenchée par les Belges, soutenus par la France et l'Allemagne. La Troïka européenne a constaté que son coup de gueule pouvait tout au mieux la plonger dans l'isolement en Europe, mais ailleurs aussi. Le marché économique européen a beau être au niveau de celui des Etats-Unis et sa monnaie bousculer le dollar, l'Europe politique s'est révélée une fiction. Le président français et le chancelier allemand ont dû se rendre à l'évidence. L'UE, ce n'est pas que le couple franco-allemand ; et les intérêts stratégiques des autres membres ne se diluent pas automatiquement dans l'axe Paris-Berlin. Dès lors que le parapluie américain est devenu sujet de discussion, la Grande-Bretagne n'a-t-elle pas été prestement rallié par l'Espagne et l'Italie, tout de même incontournables au sein de l'UE ? Chirac avait beau appeler du pied les pays arabes, chez eux l'union formelle a aussi sauté. Les appuis de la Russie et de la Chine ne pèsent pas grand-chose devant la menace d'éclatement au sein de l'UE, devait se résoudre à dire le président français qui, contrairement au chancelier allemand, a aussi à défendre le pavillon de la France à l'étranger. Chirac a fini par se convaincre que non seulement la menace de son droit de veto est improductive pour son propre pays mais que cette situation inédite entre alliés pouvait installer l'ONU dans une crise insurmontable. Les Américains sont eux aussi interpellés, d'autant que la révolte de la Vieille Europe était accompagnée par une chaîne humaine gigantesque. Bush est un va-t-en-guerre, mais l'Amérique sait aussi qu'elle ne peut être l'ennemi du monde. Alors, la guerre est-elle inévitable ? La balle, les Européens viennent de la déplacer à Bagdad. Pas question pour eux de sacrifier l'alliance transatlantique pour Saddam. La question est du ressort du Conseil de sécurité qui, annonce-t-on, planche sur une résolution qui certainement ressemblera à la 1441. Kofi Annan était présent à la réunion de Bruxelles qui a levé l'hypothèque franco-allemande. D. B.