À l'automne, l'UE sera dotée d'une Constitution. C'est une première depuis la chute du mur de Berlin. En décidant de sacrifier quelques principes — et non des moindres — de leur souveraineté nationale, les Quinze de l'UE ne visent pas moins que la reconnaissance d'une place politique dans le monde unipolaire que les Etats-Unis bâtissent ouvertement, sans se soucier de l'avis des autres. Le projet a été imposé par le couple franco-allemand qui, le premier, a essayé de faire gripper la montée en cadence de l'unilatéralisme américain lors des préparatifs de l'invasion de l'Irak. Pour vendre l'idée de la Constitution, Chirac et Schröder ont plaidé auprès de leurs pairs la nécessité pour l'Europe d'avoir sa propre personnalité politique, d'autant qu'elle dépasse les Etats-Unis de plusieurs têtes au plan commercial. Le projet a été confié à l'ancien président français, Valérie Giscard d'Estaing, d'abord, pour ne pas être débordé ni par les souverainistes ni par les fédéralistes, ensuite, pour jouer habilement sur les contradictions qui agitent les autres partenaires de l'UE et les contraindre à accepter le mode d'emploi franco-allemand. Le mandat du président de l'UE ne sera plus tournant et durera 2,5 années, ce qui constitue un obstacle pour ses 10 nouveaux membres représentant l'Europe centrale qui, aux yeux des Etats-Unis, ont pour mission de renforcer la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Italie dans le refoulement de l'européocentrisme franco-allemand. Un ministre des AE européennes, c'est également pour faire prévaloir une seule voix en la matière et mettre ainsi un terme à la cacophonie et aux discordes qui partagent l'UE entre partisans d'une Europe européenne et euro-américains. La Grande-Bretagne, qui est visée, exige que les décisions en matière de politique étrangère soient prises non pas à la majorité des voix mais par consensus. Pour dépasser ces contingences, le couple franco-allemand a attribué plus de pouvoir au Parlement européen qui, de fait, représente mieux les opinions pas très en phase avec l'exclusivisme américain. La Constitution, en mettant aux premières lignes des valeurs acquise de démocratie et des droits de l'homme en général, constitue également une sorte d'épée de Damoclès, pour les nouveaux membres de l'UE invités à se conformer aux standards européens, donc à ne pas top compter sur l'américanisme. Dans son préambule, la constitution européenne fait référence “aux héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe”. Aux yeux de ses promoteurs, la vieille Europe reste l'âme de l'UE. Si la bureaucratie de Bruxelles (la commission européenne) est maintenue pratiquement en l'état c'est pour justement officier par le truchement de ses règles tatillonnes à leur intégration dans le jeu européen et limiter les interférences américaines. Les traités successifs de l'UE depuis sa proclamation en 1957 seront simplifiés mais leur refondation reposera sur la nouvelle charte qui prône l'atlantisme dans un esprit de partenariat. Cette velléité autonomiste s'est déjà exprimée dans le domaine militaire avec la naissance d'une force de paix européenne menée par le couple franco-allemand assez suspicieux à l'égard de l'Otan jugée trop américaniste. Le projet présenté au sommet de Thessalonique (Grèce) a suscité des réserves : la Grande-Bretagne ne veut pas entendre parler de politique étrangère commune pour ne pas à choisir entre son appartenance géographique et sa fidélité à l'Amérique et certains pays comme l'Espagne, l'Autriche ou la Pologne ont déjà annoncé qu'ils entendaient modifier sensiblement le projet lors d'une conférence intergouvernementale qui aura lieu d'ici l'automne. En revanche, le coupe franco-allemand qui se défend d'être cet europhobe empêcheur de tourner en rond souhaite que l'essentiel soit préservé. Chirac et Schröder comptent sur le ralliement des petits Etats, qui craignent d'être laminés, et sur la compréhension de nouveaux membres de l'UE qui ne souhaitent ni être américanophiles ni redevenir des membres de seconde classe. En mai prochain, l'UE passe de 15 à 25 membres. D. B.