Qui se souvient de cette théorie que l'intellectuel Addi Lahouari nous proposait, au début des années 90, avant de s'envoler pour un salutaire exil ? La “régression féconde” dispose, à l'intention des démocrates effarouchés par l'hégémonie islamiste, de laisser les islamistes s'emparer du pouvoir afin que leur exercice les discrédite, à terme, aux yeux des citoyens. Le pari est que l'autorité finisse par user des théocrates inadaptés à la gestion des nations modernes et par la déception d'un peuple qui aura sacrifié ses libertés sans gagner la justice promise en échange de la rigueur du régime religieux. En 1980, l'Iran élisait Bani Sadr à la présidence de la République. Malgré l'effet Khomeiny et l'euphorie de la “révolution islamique”, les Iraniens ont plébiscité (plus de douze millions de voix) un économiste moderniste et républicain. Ils croyaient au progrès et à la théocratie conciliable. Il s'avère vite que le régime des mollahs est de nature autocratique et totalitaire. Devant l'omnipotence de l'ayatollah, la présidence n'est plus que l'ombre d'une institution. Un an après son élection, Bani Sadr dut abdiquer. Vingt-cinq ans plus tard, le peuple d'Iran élit un président plus fondamentaliste que l'ayatollah en place, un ancien pasdaran. L'antique Perse touchait le fond au bout d'une décennie. L'élection de Rafsandjani, en 1989 et 1993, fit miroiter quelques réformes qui ne furent que velléités. Président du Conseil d'arbitrage politique, il s'emploie à contrer les initiatives de l'autre réformateur qui lui succédait en 1997, le président sortant Khatami. Les maigres avancées en matière de diplomatie, de libertés, de mœurs et de presse viennent d'être littéralement dénoncées par l'élection — frauduleuse ou pas — de Ahmedinejad. Le radicalisme du maire de Téhéran n'a rien à envier au rigorisme prôné par l'ayatollah Khamaney et le clergé chiite en général. Ainsi malgré un état désastreux (20% de chômeurs, repli économique, 50% de la population en dessous du seuil de pauvreté, haut niveau de corruption), le second tour des élections présidentielles vient de mettre fin aux frémissements réformistes qui animaient l'Iran depuis une quinzaine d'années. La régression féconde n'a pas eu lieu. La régression s'avère plutôt féconde de régression. Mais les théories ont la vie dure quand elles satisfont aux caprices. Comme pour se consoler, Donald Rumsfeld, secrétaire d'Etat américain à la Défense, vient de déclarer qu'il fait “le pari que les jeunes et les femmes (d'Iran) le (le président Ahmedinejad) trouveront, lui et ses maîtres, inacceptable”. La fécondation de la régression iranienne est ainsi reportée. Mais comme la dérive militariste menace justement l'Iran, il n'est pas impossible que son maître à lui ne décide d'une solution à l'irakienne, bien avant la fin de la prochaine gestation. La régression aura alors été tragique. M. H.