Dans un de ses chefs-d'œuvre, Charlie Chaplin conçoit et campe le rôle d'un vagabond qui adopte un enfant errant. Dans le dénuement, les deux compagnons cherchent le moyen de remédier à leur état de privation. Le stratagème consiste, dans ce fameux film intitulé Le Kid, à envoyer le chérubin casser des vitres et des vitrines. Après quoi, le parrain, Charlot, passe devant les lieux du dommage, colportant des panneaux de verre, aux cris de “vitrier, vitrier !” Les victimes, bienheureuses de pouvoir restaurer leurs vitres brisées, payaient pour que le commanditaire de la casse puisse remédier à ce qu'il a détruit. Ainsi, le duo vivait de la réparation de ce qu'il détruisait. Les Etats-Unis semblent bien décidés à suivre en Irak la voie du Kid et à se donner l'occasion d'un nouveau plan Marshall qui, rappelons-le, a autant servi à reconstruire l'Europe endommagée par la guerre qu'à asseoir la suprématie industrielle de l'Amérique. Celle-ci ne se cache pas de s'assurer la part du lion dans le butin de guerre que constitue, de son point de vue, la “reconstruction” de l'Irak. Colin Powell est venu le dire aux Européens à Bruxelles, avant-hier, au cas où l'Europe, candidate au partage des chantiers à venir, serait tentée de contester la mainmise américaine anticipée sur l'avenir économique de l'Irak. Au moment même où le secrétaire d'Etat US expliquait à ses homologues européen et russe ses intentions monopolistiques, le Sénat américain votait une rallonge financière de 80 milliards de dollars pour l'investissement dans la guerre irakienne et l'après-guerre irakienne et demandait par la même occasion que soit exclu des fruits de la guerre le “front du refus”, désigné par les parlementaires américains comme constitué de la France, de l'Allemagne, de la Russie et de la Syrie, c'est-à-dire de tous ceux qui, au Conseil de sécurité, s'étaient opposés à l'envahissement immédiat de l'Irak. Pour l'heure, la confrontation prend des allures diplomatiques d'un débat sur le rôle après-guerre de l'Onu. Mais même vue sous cet angle, la contestation de l'unilatéralisme américain est rejetée par Colin Powell : l'Onu n'aura droit qu'à un “partenariat” qui reste à définir, et les Etats-Unis comptent se réserver “le rôle principal”, selon la formule du responsable du département d'Etat, dans la reconstruction du pays de Saddam. La fin, si elle ne justifie pas toujours les moyens, les explique souvent. M. H.