Ils étaient 28 896 nouveau-nés à Oran en 2004. Une année plus tard, 29 449 bébés ont poussé leur premier cri dans les blocs d'accouchement locaux. Des statistiques qui renseignent sur un marché où le privé et le public essayent de se placer. De l'avis unanime, l'accouchement dans une structure publique à Oran relève plus d'une aventure, parfois douloureuse, que d'un acte médical à proprement parler. Les témoignages convergent tous vers une condamnation d'un secteur coupable de médiocrité et de laisser-aller au détriment des cliniques privées qui se multiplient dans le champ sanitaire local. Malgré la multiplication par deux des tarifs pratiqués, dix ans auparavant, les couples hésitent de moins en moins à se tourner vers le privé en vue de s'épargner toutes les difficultés rencontrées lors d'un premier accouchement dans une maternité publique. Même si l'on est loin de la désaffection du secteur étatique, les femmes enceintes sont de plus en plus nombreuses à économiser pendant de longs mois pour se payer un accouchement dans les services privés d'obstétrique-gynécologie. Cette constatation trouve toute sa mesure chez les femmes qui travaillent et qui, parfois, contractent des prêts pour l'occasion, certaines de rembourser les dettes sur le congé de maternité. Des 2 millions de centimes pour un accouchement classique aux 5 millions de centimes pour la césarienne, les cliniques privées oranaises offrent tout un assortiment de services, allant de l'accouchement sous péridurale à la ligature des trompes qu'on ne trouve pas forcément dans les trois maternités publiques que compte la ville d'Oran. Cependant, nonobstant quelques améliorations constatées dans les maternités publiques, le constat est affligeant et la première expérience fait craindre d'autres accouchements pour la femme. Radia, 39 ans, enseignante dans un lycée à la périphérie d'Oran, se souvient avec amertume de son deuxième accouchement qui a eu lieu à Sainte-Anne, une maternité publique au centre-ville, fermée entre temps. “J'étais prête à accoucher aux environs de 2h du matin et la sage-femme, de service cette nuit-là, m'a laissé souffrir des contractions jusqu'au petit matin lors de la relève où la nouvelle sage-femme m'a prise en charge.” Ces témoignages sont légion et les patientes souffrent davantage du peu de considération qui leur est accordé par le staff médical. “Une malade a été admise dans la même chambre que moi et parce qu'elle était pistonnée, toute une équipe de blouses blanches s'était réunie autour d'elle pour la faire accoucher, un quart d'heure seulement après son admission”, poursuit Radia. Même la prise en charge du nouveau-né laisse à désirer, alors que dans les cliniques privées, sitôt l'accouchement fini, un pédiatre examine le bébé. Les patientes à même le sol, le fil chirurgical et les seringues à ramener dans ses bagages, le désintérêt à la limite du mépris que rencontrent certaines patientes dans les couloirs de la maternité, l'état des toilettes lorsqu'elles existent, ne sont plus un secret et malgré tous ces “inconvénients”, des femmes ne peuvent, faute de finances, faire abstraction des structures médicales publiques. “Il faut impérativement avoir un parent ou un voisin dans le corps médical et de sérieuses recommandations pour s'en tirer sans séquelles psychologiques d'un séjour dans la maternité du CHU”, ne cessent de répéter les patientes qui ont eu à passer, un jour ou l'autre, dans ce service. Pour Kader, 38 ans, agent de bureau dans une administration, le dilemme est grand entre le privé et toutes ses commodités et le public avec toutes ses insuffisances. “Je ne sais plus quoi penser, ma femme qui en est à sa deuxième grossesse ne veut plus accoucher chez le public même si sa première expérience s'est plutôt bien passée dans la maternité d'El-Mohgoun grâce à des connaissances”, avouera-t-il. Son appréhension réside dans les complications qui peuvent survenir au bloc et dans le coût supplémentaire que cela engendre. “J'ai appris qu'en cas de complication, on évacue la malade vers l'hôpital, alors !” D'autres femmes semblent avoir trouvé une alternative aux deux choix en jeu en se tournant vers les cabinets des sages-femmes. Même si elles ne sont pas nombreuses à exercer à leur propre compte, elles sont quelques-unes à disposer d'une certaine clientèle. Malika, 35 ans, fonctionnaire a accouché de son deuxième enfant dans un cabinet d'une sage-femme exerçant à Hassi-Bounif. “Mon premier accouchement s'est très bien passé, alors j'ai pensé que pour le deuxième il n'y avait pas mieux que la sage-femme.” Malika privilégiera le coût de l'acte, 4 000 dinars, la proximité et la réputation de l'accoucheuse. Et elles sont de plus en plus nombreuses à réfléchir sérieusement pour cette option abordable à plus d'un titre. Entre les tarifs jugés prohibitifs des cliniques privées, la nuitée d'accompagnement est facturée jusqu'à 3 000 dinars, le manque de moyens et l'absence d'humanisme dans les couloirs du public et l'émergence des cabinets de sages-femmes, le secteur de l'accouchement à Oran se cherche toujours une nouvelle voie à même de satisfaire tout le monde. SAïD OUSSAD