Après 24 ans de dictature et 3 guerres, la société irakienne plonge dans le cauchemar. Un chef chiite modéré tué à l'intérieur d'une mosquée à Nadjaf, feu des coalisés sur une voiture de civils à Nassyriah, règlements de comptes, des commerçants prennent les armes contre les voleurs à Bagdad, mise à sac de la capitale avec le pillage des administrations, des grands hôtels, d'un hôpital et d'un musée archéologique. Situation humanitaire chaotique selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR)… Après les premières images de liesse populaire, d'autres moins enthousiasmantes ont envahi les écrans de télévision. La statue de Saddam déboulonnée, des Bagdadis se sont laissé gagner par leurs instincts grégaires. Abandonnés à la faim par un régime fastueux, bâillonnés par plus de trois décennies de dictature, ils ont brisé leurs chaînes et se sont rués sur les magasins publics et les palais désertés. Insatiables, beaucoup ont jeté leur dévolu sur les commerces privés. N'entendant guère se laisser faire, les propriétaires pointent des fusils en direction des pilleurs. Rien que ce vendredi, pas moins de 25 blessés par balles ont atterri dans les hôpitaux de la ville. Mais cela ne semble guère dissuader les hordes de miséreux qui hantent les quartiers tristes de Saddam City et d'ailleurs. Libérés d'une autorité despotique, leurs premiers pas dans Bagdad les conduiront là où leurs ventres creux seront apaisés. Tout est bon à prendre, même l'histoire du pays fait office à leurs yeux d'un produit à vendre. Dans Bagdad l'illustre, transformée en vaste camp de concentration par une infâme dictature et dévastée par l'assaut impétueux de la coalition, les vestiges des civilisations glorieuses du Tigre et de l'Euphrate ont aussi fait le bonheur des pilleurs. Quand l'ordre regagnera-t-il Bagdad ? Occupant la majeure partie de la capitale, les troupes américaines se gardent néanmoins d'intervenir pour ramener le calme. Le commandement en place dit qu'il n'a reçu encore aucune instruction pour pallier le retrait de la police irakienne. Pour l'heure, les marines s'attellent à réduire à néant les dernières poches de résistance dans les faubourgs de la ville. Selon le général de l'armée de l'air, Victor Renuart, Bagdad demeure toujours “un endroit dangereux”. Une affirmation qui n'a pas empêché les Britanniques d'annoncer une réduction de leurs effectifs dans le Golfe. Est-ce vraiment opportun, d'autant que les Royal marines semblent à leur tour avoir du mal à sécuriser entièrement Bassorah où ils sont positionnés ? Dans cette ville du Sud, bien qu'un calme relatif ait été enregistré ces derniers jours, il reste que la situation dans la ville est toujours incertaine en raison de la multiplication des règlements de comptes. L'illustration patente de cette anarchie nous vient d'un peu plus au nord de Nadjaf où Abdelmadjid al-Khoi, un chef chiite modéré, tout récemment rentré d'exil en Iran, a été tué à l'intérieur d'une mosquée. Il serait très contesté au sein de sa communauté. Washington a vivement condamné cet assassinat. Ce qui ne l'empêche pas de se rendre également coupable de tueries. Hier, à Nassyriah, les troupes US ont pris pour cible une voiture de civils. Dans le Nord, les Américains, confortés par la prise fulgurante de la capitale, poursuivent leur avancée. Hier, dans l'après-midi, les premières forces spéciales américaines et kurdes sont arrivées dans le centre de Mossoul, sans rencontrer de réelle résistance. Seuls quelques francs-tireurs ont tenté de leur riposter, sans succès. S'avouant vaincu, le cinquième corps de l'armée irakienne qui devait défendre cette grande ville pétrolière du Nord, a capitulé. Dans Kirkouk, livrée depuis jeudi dernier aux Peshmergas, les troupes américaines ont également établi leur siège. Sans doute, leur entrée dans cette ville est destinée à rassurer les Turcs, très inquiets par le regain de l'activisme kurde à la frontière de son propre Kurdistan. D'ailleurs, Washington a tôt fait de rassurer autrement la Turquie en l'invitant à envoyer des observateurs pour suivre la situation dans les régions de Kirkouk et de Mossoul. Dans cette guerre, il est évident que les considérations politiques sont primordiales. Côté humanitaire, la situation sanitaire très alarmante ne semble pas grandement inquiéter “les libérateurs de l'Irak”. Dans un appel urgent, le Comité international de la Croix-Rouge a lancé “un appel urgent aux forces de la coalition et à toutes les autres personnes ayant autorité” en Irak afin que les infrastructures essentielles soient protégées contre le pillage et la destruction. C'est, en effet, avec une grande désolation que le CICR a constaté la mise à sac de l'hôpital El Kindi de Bagdad. De son côté, le Haut-commissariat aux réfugiés craint un exode massif de la population. D'ores et déjà, 30 000 réfugiés de Nassyriah et de Bagdad se sont amassés à la frontière avec l'Iran. A Bassorah, l'hôpital de la ville ne disposerait plus de médicaments… Uniquement préoccupés par la chose politique, les Américains invitent l'opposition irakienne en exil à une réunion près de Nassyriah, mardi prochain. S. L.