La brouille entre le président de la République et son Premier ministre semble avoir atteint un point de non-retour. Entre les deux hommes, les rapports se sont subitement détériorés jusqu'à friser la rupture, affirment des sources gouvernementales. L'entrevue de plus de deux heures qui a réuni, la semaine dernière, Bouteflika et Benflis n'y a rien changé. Tenue pour aplanir la situation devenue très tendue depuis le dernier congrès du FLN, cette réunion n'a pas réglé la crise, puisque quelques jours plus tard le chef de l'Etat a annulé, contre toute attente et sans raisons officielles, le Conseil des ministres prévu pour lundi dernier. Ce fait est passé presque inaperçu en raison de la guerre en Irak. Des rumeurs persistantes prêtent, ces derniers jours, au premier magistrat du pays l'intention de procéder à un changement de gouvernement. Un changement qu'on dit imminent dans le sérail du régime. Même si rien n'est venu confirmer, ou démentir cette “information”, ne dit-on pas qu'il n'y a pas de fumée sans feu. Même au sein du parti majoritaire, on est convaincu de cette action que s'apprête à prendre celui qui a été leur “candidat préféré” en 1999. Cette situation a créé un climat d'attentisme dans les milieux politiques qui restent “branchés” sur les informations en provenance des deux palais, aujourd'hui en conflit larvé. Le moindre signal, émis à partir de ces deux stations du régime, est soigneusement décrypté par les observateurs et les spécialistes en la matière. De même que ces milieux guettent la moindre déclaration des proches de Bouteflika ou de Benflis pour la décoder et tenter d'échafauder les scénarios que préparent les deux clans du pouvoir. Ce qui est certain, en revanche, c'est que les deux alliés d'hier sont sur le point de se séparer. Unis il y a quatre ans par la présidentielle d'avril 1999, les deux hommes vont, ironie du sort, rompre à cause d'une échéance de même nature. Les ambitions divergent et font éclater une alliance dont la conclusion a surpris tout le monde. La forme qui semble avoir été choisie passe par un changement du gouvernement. Des indiscrétions font état de l'annonce de cette nouvelle après le retour de Benflis de Mauritanie la semaine prochaine. Au-delà de la spéculation autour de la personnalité qui sera nommée et dont le choix aurait été déjà tranché — il doit être issu de l'Est du pays pour assurer l'équilibre régional — il convient de relever qu'il s'agit là de la première onde de choc du congrès du FLN qui s'est tenu il y a près d'un mois à l'hôtel El-Aurassi. De toute évidence, les résultats de ces assises qui ont conforté les choix de Benflis et lui ont déblayé le terrain en prévision d'avril 2004, ont irrité le locataire d'El-Mouradia qui s'est senti “trahi” par son ami de Batna. Bouteflika a mal admis la tournure prise par le huitième congrès, acceptant difficilement la défaite. Il a accusé et encaissé le coup. Ceux qui connaissent le tempérament et le caractère du président de la République affirment que, fin manœuvrier, il ne pouvait rester sans réagir et riposter à celui qu'il considère désormais comme un adversaire après avoir été, des années durant, son homme de confiance. Comment et par quels moyens renverser une situation qui lui est défavorable ? Par quel stratagème et surtout quelle forme de réplique ? Ce sont autant d'interrogations qui ont taraudé l'esprit des analystes et ceux qui suivent l'actualité nationale. Le temps qu'a duré la guerre en Irak a été mis à profit par le chef de l'Etat, affirment des sources gouvernementales, pour réfléchir au dilemme créé par le congrès du FLN. Pendant tout cet intermède, Bouteflika s'est éclipsé alimentant supputations en entretenant le suspense autour de ce qu'il prépare. En vingt jours, il n'a fait qu'une seule déclaration devant les scientifiques et les spécialistes de la religion et autres imams réunis à El-Aurassi à l'initiative du HCI. Sur la guerre du Golfe, l'homme ne voulant certainement pas trop s'avancer sur un terrain glissant a préféré envoyer au charbon son ministre des Affaires étrangères expliquer et justifier la position officielle de l'Algérie sur cette crise. Au même moment, son Premier ministre est allé encadrer, en tant que secrétaire général du parti, la marche organisée à Oran pour dénoncer la guerre contre l'Irak. Cette prise de position de Benflis a profité à son adversaire direct qui a refusé d'afficher une opposition aux Américains de crainte de les fâcher. L'enjeu reste de savoir qui gagnera le soutien de Washington pour l'échéance de 2004. Sur un autre plan et après avoir pris conscience d'avoir perdu le contrôle de l'appareil de l'ancien parti unique, le locataire d'El-Mouradia s'est tourné vers la coordination des comités de soutien à son programme, réactivée à l'occasion, ces derniers jours, pour combler le manque de cadre organique mobilisateur autour de sa candidature pour un second mandat. La structure dirigée par Amar Saïdani, un membre du comité central, qui a eu sa place dans cette instance on ne sait par quel miracle, sera le tremplin pour tous ceux qui défendent l'option d'une deuxième chance à Bouteflika. Il faut s'attendre, dans les prochains jours, à une série de conférences régionales qui seront couronnées par un congrès de structuration. C'est par cette méthode que les proches du président de la République veulent séduire et attirer des militants, notamment ceux du FLN et vider de sa substance celui-ci. Une entreprise de déstabilisation qui va crescendo à mesure que l'échéance approche. La bataille, qui s'annonce “féroce et passionnante”, ne fait que débuter entre les candidats potentiels à la magistrature suprême. C'est la phase des primaires qui vient de commencer. N'arrivera au “finish” que celui qui aura le souffle long. M. A. O.