Comme le philosophe Sénèque l'a dit, il y a plus de 2000 ans, “ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, mais c'est parce que nous n'osons pas que les choses deviennent difficiles”. Il fallait donc oser, et c'est ce qu'a fait l'équipe médico-chirurgicale humanitaire de l'UMA en se rendant au cœur de Bagdad lardée de missiles et de bombes. Et ce qui m'a le plus frappé et impressionné, c'est l'absence de peur chez les membres de ma jeune équipe qui affrontait l'inconnu. Naturellement, il y avait chez nous tous une certaine appréhension, tant que nous étions en Jordanie, mais dès la frontière franchie, où nous étions accueillis en terre irakienne par feu Tarek Ayoub d'Eljazeera (que Dieu ait son âme), la délégation déploya le drapeau algérien et ce fut comme un déclic : la sérénité et la détermination s'installent chez tous les missionnaires dont trois valeureuses femmes. Même le faux barrage des soldats américano-britanniques à 200 km de Bagdad n'a pas impressionné ni entamé le courage de la délégation. Arrivés à Bagdad, au milieu de l'après-midi, nous avons découvert une situation paradoxale : un ciel lourd chargé de fumée noire, des explosions de bombes et de missiles et des tirs de DCA, mais une population étonnamment calme, une circulation fluide de véhicules particuliers et même de nombreux enfants qui disputaient des rencontres de football sur des terrains vagues. Nous arrivâmes à l'hôtel Palestine où nous attendaient tous les médias mondiaux présents à Bagdad, car nous étions la première et l'unique délégation du monde arabe à avoir franchi le pas, en osant nous rendre à Bagdad pour porter aide et assistance aux victimes de la guerre, d'autant que nous transportions depuis Amman 35 tonnes de médicaments offerts gracieusement par les laboratoires jordaniens Hikma et Dar Dawa ainsi que Saïdal. Notre premier souci fut de visiter les hôpitaux, et là, stupéfaction : nous n'avons trouvé que des enfants, jeunes et très jeunes, des nourrissons et des femmes lacérés par les éclats de bombes et de missiles et brûlés aux 2e et 3e degrés. Que ce soit à l'hôpital Nour, situé dans le quartier chiite Chaâla où une bombe à fragmentation avait causé la mort de 62 personnes dans un marché populaire très pauvre, ou à l'hôpital Ibn-Nafis, ou encore au grand CHU Yermouk où nous étions autorisés à intervenir au bloc. D'ailleurs, dans cet hôpital, notre équipe médico-chirurgicale a réussi 5 interventions en chirurgie de guerre et en urologie, dans l'après-midi. Le deuxième soir et la deuxième nuit furent les plus terrifiantes puisque des missiles de très forte puissance tombèrent en plein centre, non loin des hôtels Palestine et Sheraton dont les édifices furent sérieusement ébranlés créant une panique. La nuit fut ponctuée d'explosions régulières et, au matin du 3e jour, une très forte explosion d'un missile secoua le quartier. Nous nous rendîmes au CHU Yermouk accompagnés sur notre chemin d'explosions jusqu'à notre arrivée à l'hôpital où une forte explosion secoua le quartier où affluèrent immédiatement des blessés gravement touchés, toujours des enfants et des femmes, et un seul adulte qui avait le crâne fracassé. Toute l'équipe eut à intervenir avec les confrères irakiens qui ont fait preuve d'une maîtrise parfaite des urgences médico-chirurgicales, d'une compétence et d'un dévouement exemplaires. Premier constat : nous avons vécu en direct et sur le vif une guerre cruelle, atroce et inhumaine, mais également paradoxale puisqu'elle prit fin de manière inattendue. Elle a coûté des milliers de vies humaines à des citoyens innocents — surtout les enfants, les femmes et les personnes âgées —, ainsi que la destruction d'infrastructures de base et des édifices prestigieux. Elle a frappé le cœur du berceau de l'humanité. Etait-elle évitable ? Je pense que si. Je ne terminerai pas ce témoignage sans adresser mes vifs remerciements à notre ambassadeur à Damas (Syrie) qui nous a accompagnés de nuit jusqu'à Amman, tout comme les laboratoires Hikma et Dar Dawa qui ont facilité toutes les formalités avec les Jordaniens et ont offert 35 tonnes de médicaments ainsi que notre transport. D. O. A. (*) Président de l'UMA