Le Président venait de faire “personnellement” l'expérience d'un acte terroriste. En attendant sa déclaration annoncée, on ne pouvait voir, dans ce massacre de plus, que l'occasion pour le Président de confirmer l'option énoncée dans son discours du 5 juillet. Mais, dans un discours rendu laborieux par l'émotion, il est d'abord question de justifier son avènement au pouvoir, voire ses déplacements. Venu “sans armes”, pour “apporter de l'eau”, “la paix” et d'autres bienfaits, il ne devrait donc pas susciter d'hostilité. Même s'il rejette toute légitimité religieuse d'un tel acte, la logique de justification reste dangereuse en ce qu'elle insinue qu'il existerait de bons et de mauvais motifs au terrorisme. Cette attitude a été souvent éprouvée par ceux qui, aux premières années noires, voulaient se mettre hors de portée de la “justice” des islamistes en faisant mine de s'interroger sur les “péchés” des victimes : “Mais qu'a-t-il fait ?” réagissaient-ils à la nouvelle d'un “châtiment”. Cela leur évitait d'assumer la question républicaine : “Mais qui sont-ils pour juger de ce qu'il a fait ?” S'il n'y avait pas eu le précédent de vouloir expliquer ce qui est un mal en soi, on n'en serait pas à ce qu'un Président invoque la pertinence de son action pour faire valoir l'inviolabilité de sa personne. Y aurait-il donc un prétexte qui puisse autoriser l'assassinat d'un chef d'Etat, même illégitime ou mauvais Président ? Inévitable suite d'un tel discours, le Président reformule la théorie des deux extrêmes pour renvoyer dos à dos “ha-oula-i” (ceux-ci) et “oula-ika” (ceux-là). Il y a deux effets à énoncer la thèse de la confrontation entre un extrémisme des islamistes et un extrémisme des laïcs (“ilmanioun”) : primo, cela soulage les islamistes d'une part de leur responsabilité en la faisant partager avec leurs adversaires politiques ; secundo, les islamistes n'en voudraient pas au pouvoir, mais seulement aux adeptes d'une conception sécularisée de l'Etat. Manière de botter en touche sur la question de la dimension insurrectionnelle du terrorisme islamiste. Le choix est, en effet, entre théocratie (Etat islamique) et république (Etat laïque). L'anomalie est dans un pouvoir qui serait neutre, indéfini et qui légitime son emprise par une mission de conciliation des contraires idéologiques, et cependant “frères”. Je dirige parce que je vous dis : “aimez-vous”. La fonction politique de la réconciliation nationale sert à cela : à légitimer une mission de conciliation. Pourtant, le projet islamiste porte en lui sa variante révolutionnaire, violente, irrédentiste. Tant que ce projet existe et a l'illusion d'une possibilité de victoire, la réconciliation sera, au plan sécuritaire, contreproductive. Quand nos dirigeants insistent sur le fait que la réconciliation nationale est “un choix stratégique” et “irréversible” du peuple algérien, ils ne font que rappeler la pérennité de ce qui fonde leur pouvoir malgré les remises en cause du terrain. La réconciliation n'est plus alors “un choix stratégique”. Par nature, une stratégie s'évalue, se révise, s'adapte et se reformule. Sinon, elle devient un dogme. Contrairement à une stratégie qui se justifie par ses résultats, un dogme se justifie par lui-même. M. H. [email protected]