Dans les sociétés à tradition musulmane, l'esprit critique, le cheminement et le questionnement scientifiques continuent d'inquiéter et de déranger. Et alors que la science s'impose par son universalité, ces sociétés réagissent souvent par l'indifférence ou la méfiance, sous prétexte que les savoirs sont “importés”. Ce rôle passif n'est pas sans conséquences sur l'assimilation des connaissances, leur transmission et leur reproduction. “La société algérienne ne peut progresser si elle n'évolue pas vers une société de connaissances”, a déclaré hier Mohamed Ghallamallah, chercheur au Centre de recherche en économie appliquée et en développement (Cread), lors de la 2e journée du colloque international sur “Savoir et société”, qui se tient à la Bibliothèque nationale d'El-Hamma (Alger). Ce dernier a, en outre, mis en exergue “la dévalorisation de l'université et des élites”. Plus loin, l'intervenant a soutenu que “tant que le pétrole est là, les idées seront écartées”, en plaidant pour l'affranchissement de “l'intelligence”. De leur côté, MM. Badrani et Bouyacoub, respectivement professeur à l'INA et enseignant à l'Université d'Oran, se sont demandés si la faiblesse de la production scientifique et technique en Algérie n'est pas “un revers de l'économie rentière”. Pour les deux chercheurs, la situation n'est pas propre à l'Algérie et concerne donc les pays arabes et islamiques. Selon eux, les raisons du recul dans la production scientifique résident dans la faiblesse du nombre de chercheurs, celle des dépenses allouées à la recherche et au développement, et le bas niveau de rémunération, surtout en Algérie, qui “n'incite pas les chercheurs à produire”. “L'Algérie, malgré ses ressources, est le pays qui consacre le moins d'argent pour la recherche”, a souligné M. Bouyacoub. Ce dernier a aussi regretté que les chercheurs nationaux n'aient pas eu “l'idée de lancer des études” sur des problèmes d'actualité pour comprendre, par exemple, les motifs de la faiblesse du taux de participation aux dernières élections législatives, ou ceux de la crise de la pomme de terre. Il a, par ailleurs, stigmatisé les politiques, estimant qu'ils “se trompent en pensant souvent qu'ils n'ont pas besoin de science”. L'intervention de Zoubir Arous, spécialiste de la sociologie de la religion, n'est pas du reste passée inaperçue. Le chercheur du Cread, s'exprimant sur le “savoir religieux en Algérie”, a en effet révélé le rôle joué par une partie de l'opposition islamique, conduite par notamment Rachid Benaïssa et Malek Bennabi, dont les idées ont été accueillies par le ministère des Affaires religieuses, au niveau de sa direction des rencontres islamiques. Selon lui, “l'émergence du mouvement islamiste”, dans les années 1980, est la résultante d'un travail accompli pendant des années, à travers la tenue de colloques internationaux “pris en charge” annuellement par cette direction, le suivi des élèves et des étudiants, ainsi que la médiatisation de “cette culture qui s'est propagée sur la scène sociale”. Un savoir religieux, précisera M. Arous, “diffusé sans outils scientifiques ni garde-fous” par des participants et invités de l'Algérie, dont “la plupart d'entre eux ne partageaient pas le rite malékite suivi par notre pays”. La journée d'hier a également permis aux universitaires, chercheurs et techniciens de l'Ecole nationale polytechnique (ENP) de mesurer “le déficit de savoir” qu'accusent les recherches en sciences humaines sociales sur la famille algérienne. D'aucuns ont aussi alerté sur “la grande crise” que vit aujourd'hui l'Université algérienne, tardant à passer de “l'impératif quantité à l'impératif qualité”, pour accoucher d'une “université du savoir”. D'autres ont constaté que l'université “intègre très peu dans ses pratiques les nouvelles techniques”. Résultat : “Aucune université ne dispose d'un réseau de médiathèques et peu sont celles qui fournissent à chaque enseignant un micro-ordinateur”. H. Ameyar