Hier, rares sont les Constantinois qui commentaient la nouvelle, rapportée le week-end par la presse, portant sur un éventuel déplacement d'Enrico Macias à Constantine lors de la prochaine visite d'Etat qu'effectuera le président français Nicolas Sarkozy en Algérie, la première semaine du mois de décembre prochain. On est loin de l'atmosphère qui a régné durant l'amère expérience de 2000 quand une véritable levée de boucliers a été orchestrée pour faire face au déplacement du chanteur français d'origine juive. Hier, vendredi, jour de repos hebdomadaire, dans les rares permanences des partis politiques ouvertes, les responsables rencontrés sont très préoccupés par les prochaines élections, surtout que les électeurs potentiels n'expriment aucune fébrilité à J-10. Logique, nous chuchote M., membre d'une association de quartier pour qui “les cadres des partis de la coalition ne s'expriment pas ; ils expliquent les directives de leur direction”. Une façon d'insinuer que la virulente réaction d'il y a 6 ans a été diligentée depuis les états-majors algérois. Abdelhamid, un Constantinois, qui fut très actif dans la campagne contre la venue du chanteur juif de Constantine en 2000, est dans l'expectative. “Je n'arrive pas à comprendre ce qui se passe. Les gens d'Alger qui ont fait campagne à l'époque contre sa venue sont aujourd'hui aux commandes du pays. Belkhadem, le chef de file à l'époque, est le patron du gouvernement.” Pour son ami, qui était pourtant contre les manifestations de 2000, “si ce qui se rapporte sur cette visite est vrai, alors ces gens nous ont manipulés et ils n'ont de valeur que le mensonge et la triche”. Pour un ancien moudjahid et cadre supérieur au FLN avant les années 1990, qui a requis l'anonymat, la question est du seul ressort des salons algérois. “Ce chanteur a toujours exprimé ses vœux de visiter Constantine. Qu'il vienne en touriste, en homme d'affaires ou en politique français dans ce qui fut sa ville natale durant l'occupation française ! Il est le bienvenu en tant que tel. Ils sont des centaines d'anciens Juifs d'Algérie qui viennent ici chaque année et sans problème. Ce ne sont pas des citoyens de l'Algérie algérienne en exil, mais des adeptes d'une Algérie française qui n'a jamais existé”. Son fils, que se dit pourtant apolitique, remarque toutefois que “c'est un Français qui aime sa ville natale qui se trouve être une ville algérienne. Une cité meurtrie, entre autres, par les événements du 12 mai 1956”. Ces événements sont considérés ici, à tort ou à raison, tant les historiens sont partagés sur la question, comme la date de la rupture définitive entre les deux communautés. En effet, la présence juive à Constantine ne se limite pas aux arts, malouf et autres négoces. Elle a été entachée par des faits historiques. Le plus saillant est le massacre par les Juifs (devenus français depuis le décret Crémieux) de dizaines d'Algériens. Suite à un attentat à la bombe, des Juifs pour les uns, des CRS et quelques Juifs armés, pour les autres, ont massacré 230 Algériens selon Marie Louanchi-Chaulet, surveillante au lycée des filles de Constantine à l'époque. L'historien israélien Michael Laskier ramène le chiffre à 26. Son confrère, lui aussi natif de Constantine, Benjamin Stora, n'en fait pas mention. En fait, rares sont les Juifs qui en parlent à l'inverse des événements de 1921 et 1934 où les victimes étaient surtout recensées du côté des Juifs. Plus récent, les Constantinois retiennent surtout la rencontre des 27 et 28 mars 2005 à Jérusalem des Juifs de Constantine, à laquelle a pris part Enrico Macias. C'est pour dire que le Constantinois, hospitalier qu'il est, s'il n'est pas prêt à dire non à une telle visite d'une telle figure de la culture locale, il n'est pas disposé à accepter une instrumentalisation politique des anciens Juifs de la ville de leur déplacement dans l'ex-capitale de Numidie. Mourad Kezzar