Une simple virée chez les disquaires nous a permis de constater que l'un des chanteurs “étrangers” qui enregistre le plus de succès dans la vente de ses albums est Enrico Macias. La Chaîne III, une radio non moins fortement étatique, diffuse elle aussi très régulièrement ses chansons. Ce triomphe parmi les hit-parades est l'expression d'une admiration qui lui est portée. Elle ne signifie pas l'élémentaire plaisir d'écoute et ne relève pas du nostalgique d'autant plus que les admirateurs du chanteur sont, toujours selon notre enquête, essentiellement les jeunes de la génération des années 80. Des historiens spécialistes de la guerre d'Algérie analysent les textes d'Enrico Macias comme éléments utiles à une meilleure compréhension des évènements d'après-guerre. Si malgré tous les bourdonnements négatifs proférés à l'encontre du chanteur de Constantine et nourris à un nationalisme tardif font que Enrico demeure une des idoles du monde de la chanson dans notre pays, cela veut tout simplement dire que les vieux discours ne sont plus crédibles. L'admiration qui lui est portée est le dépassement des contingences circonstancielles. Elle se confond avec une complicité dont le contenu des productions du chanteur fait partie de la résultante culturelle et historique du pays. On peut au passage ajouter au répertoire les Reinette Sultana Daoud El-Wahrania née à Tiaret en 1915 et qui fut une grande dame de la musique classique algérienne, ou encore le célèbre interprète Blon Blon des années 50. Bien des pieds-noirs visitent à longueur d'années notre pays (leur pays de naissance) sans que le ciel ne nous soit tombé dessus. Mais surtout combien de nos jeunes “brûlent” d'accoster sur ce “damné” territoire de France que les discours politiciens, en mal de légitimité révolutionnaire, n'ont pu dissuader. La question principale, la vraie est là et non ailleurs. De plus, le vaste mouvement humain qui s'opère entre l'Algérie et la France d'aujourd'hui est une sanction sans équivoque jetée à la face des tenants d'un chauvinisme souffreteux, dixit l'éminent révolutionnaire Mustapha Lacheraf. Alors, lorsqu'un discours ne passe pas, ne passe plus, lorsque des propos sont périmés pour ainsi dire, le pire des échecs est de s'entêter à les marteler. Quand verra-t-on les pesanteurs disparaître, la lucidité l'emporter sur la haine, ce vilain mot disait le poète Djaout, pour laisser place enfin au réalisme et au bon sens ? A. A.