La figure de proue de la musique raï, devenue mythe après sa mort, est incontestablement le chanteur Chekroun Hasni. Il est recordman des enregistrements de cassettes. Il en détient 150 environ. Assassiné le 29 septembre 1994, au plus fort du terrorisme qui prenait pour cible les artistes et l?intelligentsia nationale, il continue, depuis cette date fatidique, à occuper la première place des ventes. Il s?est illustré, de son vivant, par des chansons romantiques qui ont fait de lui un crooner très apprécié par les mélomanes. Une virée chez les disquaires nous renseigne sur sa popularité qui n?a pas changé d?un iota en dépit du fait que son répertoire n?est plus d?actualité. Et pourtant, ses fans ne se lassent pas de ses chansons et en redemandent à chaque sortie d?un album remixé ou inédit. Il est l?un des rares chanteurs décédés à susciter autant d?engouement. La plupart des disquaires affirment que le chanteur est en tête des ventes des albums. Ils en vendent, en moyenne, quelque trois cents copies par mois. Il supplante le défunt Matoub Lounès. La raison de ce succès, selon les concernés, est liée à la sincérité du chanteur qui raconte sa propre vie et met en scène ses expériences personnelles. Ce qui l?a hissé au rang de chanteur sentimental par excellence. Cela a contribué à garder intact l?amour de son public. Aziz est étudiant en interprétariat, rencontré au drugstore de la rue hassiba-Ben-Bouali, il vient acheter le dernier remix de cheb Hasni. «C?est un chanteur hors pair. C?est le seul qui me touche surtout quand j?ai un chagrin d?amour. Il raconte les choses avec son c?ur !», nous dira-t-il. Saïd, la quarantaine bien entamée, fonctionnaire de son état, fait une analyse plutôt pertinente : «Cheb Hasni est devenu une idole parce qu?il chante la «h?nana.» Son assassinat brutal a choqué et c?est l?effet inverse qui s?est produit. Les terroristes voyaient en lui un homme dissolu qui débauchait les jeunes par ses chansons à l?eau de rose et c?est cela je crois qui le différencie des autres. Déchiré par un divorce, le chanteur se confiera à son public dans ses chansons Madhenitch nat farkou ou encore Aâtouni l?visa bach n?chouf l?aziza. Il est aussi le premier à avoir exprimé le ras-le-bol de la jeunesse algérienne, celui des «hittistes» et des laissés-pour-compte, en évoquant la fameuse demande de visa formulée de vive voix et à chaque fois que le chanteur avait rendez-vous avec ses fans. Cette demande est reprise, tel un leitmotiv, dans les manifestations et au passage des cortèges présidentiels.