De sa tente bédouine, installée sur la pelouse de l'hôtel Marigny, résidence officielle des chefs d'Etat étrangers en visite en France, le colonel Kadhafi s'est permis de critiquer le système français en interpellant Paris sur les droits des émigrés, tout en se demandant si les “injustices” ne permettaient pas d'expliquer les violences dans les banlieues. Fidèle à son image très controversée, le chef de l'Etat libyen ne s'est pas privé d'alimenter la polémique sur sa présence en France, en allant jusqu'à contredire Nicolas Sarkozy sur les droits de l'homme du siège même de l'Assemblée française, où il a été reçu avec les honneurs, malgré le boycott de l'opposition socialiste. Paris, qui ne pouvait se permettre de repousser la manne financière de Tripoli, aura bu le calice jusqu'à la lie. La désapprobation des députés socialistes, qui ont quitté brièvement l'hémicycle, n'a pas empêché Mouammar Kadhafi de narguer ses hôtes en affirmant qu'il n'avait pas parlé des droits de l'homme avec son homologue français. Pourtant, ce dernier avait insisté la veille sur le fait qu'il avait demandé au dirigeant libyen de “progresser” sur ce dossier. Ne s'arrêtant pas là, le leader libyen revenait à la charge dans la soirée de mardi en s'adressant à des membres de la communauté africaine réunis au siège de l'Unesco. Il a osé interpeller la France sur les droits des immigrés. “Avant de parler des droits de l'homme, il faut vérifier que les émigrés bénéficient chez vous de ces droits”, a-t-il déclaré, avant de se demander si les “injustices” ne permettaient pas d'expliquer les violences dans les banlieues. Poursuivant dans le même ordre d'idées, il s'interroge en s'adressant à ses “frères africains émigrés” présents dans le grand amphithéâtre du siège de l'Unesco : “Nous sommes dans le pays qui parle des droits de l'homme. Y a-t-il certains de vos droits qui ne sont pas appliqués ?” Dans la foulée, le guide de la révolution libyenne ajoute : “Nous sommes l'objet d'injustices. Notre continent a été colonisé, nous avons été réduits en esclavage, déplacés dans des navires comme du bétail. Aujourd'hui nous travaillons dans le bâtiment, dans la construction de routes (...) Après tout cela, nous sommes envoyés dans les banlieues et nos droits sont violés par les forces de police.” Dans une allusion à peine voilée aux violences qui ont secoué les banlieues françaises, Kadhafi dit : “Les Africains émigrés sont considérés comme des marginaux, des nécessiteux. Ils expriment leur colère parfois par la violence, allument des incendies.” Selon lui, “les citoyens français, belges, anglais, jouissent de ces droits, c'est certain. Mais lorsque nous parlons des droits humains, il faut aussi les appliquer aux étrangers, aux émigrés (...) Ce ne sont pas des va-nu-pieds, des mendiants, ce sont des travailleurs”. Enfin, pour donner à réfléchir aux Européens, il conclut : “Je réprouve la violence, mais ceux qui expriment leur mécontentement vivent des situations difficiles en Europe, cela mérite qu'on y réfléchisse.” Sur la question de la démocratie, il explique que la Libye était “arrivée à bon port en instaurant la démocratie populaire directe. Il n'y a pas d'élections en Libye parce que les Libyens n'élisent pas leurs dirigeants. Ce sont les Libyens qui se dirigent eux-mêmes”.Quant aux réactions hostiles à sa visite en France, Kadhafi donne l'impression de les ignorer totalement en déclarant : “Je ne suis pas au courant. Je n'ai pas lu la presse, je n'ai pas regardé la télévision. On est accueilli avec beaucoup d'amitié, beaucoup de chaleur par le Président et le peuple français. En fait, je n'ai pas fait très attention à ces réactions.” Il y a lieu de noter que plusieurs dirigeants politiques français, dont les socialistes Ségolène Royal et Bertrand Delanoë et le centriste François Bayrou, ont manifesté hier au pied de la Tour Eiffel contre la visite de Kadhafi en France. K. ABDELKAMEL