Ils étaient hier nombreux, les travailleurs, les syndicalistes de base, les militants politiques, les féministes et… les policiers, à venir accompagner Redouane “ennaqaba” à sa dernière demeure. Qui aurait cru que la brigade antiémeutes accompagnerait Redouane Osmane jusqu'à sa dernière demeure ! Connu par le surnom du “Rebelle de Bab El-Oued”, il se fera embarqué et malmené par la police durant toute sa carrière jusqu'au jour même de son enterrement. En effet, un dispositif important de la police a été déployé pour empêcher le cortège mortuaire de lui rendre un dernier hommage à l'intérieur du lycée Emir-Abdelkader. “C'est scandaleux, même mort il leur fait peur”, s'indigne une enseignante de langue espagnole. Il était prévu que la dépouille d'Osmane soit exposée au lycée Emir-Abdelkader pour un dernier hommage avant de rejoindre sa dernière demeure, mais la Sûreté nationale n'a pas autorisé cette initiative. Pis, elle a posté trois camions de brigade antiémeutes et cinq véhicules devant l'annexe du lycée Okba pour empêcher le cortège de passer. “Nous pouvons mourir en classe, mais nous n'avons même pas le droit de lui rendre un dernier hommage à l'intérieur du lycée. Faut-il le rappeler, Redouane est mort sur l'estrade, la craie à la main lors d'un cours supplémentaire”, se révolte sa collègue. Finalement, la foule composée essentiellement de ses élèves et d'enseignants, d'hommes politiques, de syndicalistes et d'anonymes, s'est dirigée vers la mosquée pour l'ultime hommage. “Aujourd'hui, nous allons braver tous les interdits et l'accompagner à la mosquée, puis au cimetière”, annoncent ses collègues femmes. Il est 13h20, la prière du défunt a eu lieu à la mosquée Essouna, en présence de centaines de personnes. Le jardin Etourath, ainsi que la route menant vers le cimetière d'El-Kettar étaient inondés d'une marée humaine qui est venue pour un dernier adieu à l'enseignant, au syndicaliste, au frère, à l'ami Redouane. Recouvert de l'emblème national, le cercueil du défunt a été porté par ses propres élèves qui l'ont vu mourir en classe, samedi passé à 14h. C'est avec des applaudissements et des youyous qu'il a été conduit à sa dernière demeure. Tout le monde se souviendra de cet enfant de Bab El-Oued de 56 ans, traînant son sac à dos à moitié ouvert et plein de paperasse, notamment des déclarations du Conseil des lycées. Issu d'une famille modeste, il disait tout le temps : “Mes parents se sont tués à la tâche pour que j'arrive à mon but et devienne enseignant.” Redouane Osmane a rejoint la famille de l'éducation depuis 1970. Il était de cette race de professeurs qui ont choisi ce métier par passion. Epris de son idéal, il s'est donné sans réserve, il dépassait ses limites au point de négliger sa vie privée. Dès son jeune âge, il a pris part à divers mouvements de protestation. C'est ainsi qu'il s'est forgé une personnalité de rebelle. Il adhère et construit différents mouvements syndicaux. C'est lui qui transformera les fameuses coordinations estudiantines de 1987 en Syndicat national des étudiants algériens autonomes et démocratiques (SNEA-AD). Ce n'est qu'en 2003 qu'il devient le représentant du Conseil des lycées d'Alger et lance un appel national au débrayage. “C'est un meneur d'hommes, on le repère à sa rage et son désir de changer le monde. Il ne s'arrête jamais”, le qualifient ses collègues rencontrés lors de l'enterrement. Jamais de discours à moitié ; assoiffé de liberté, il mettra toute son âme pour le combat de la dignité de l'enseignant. Il usera de tous ses moyens pour faire aboutir son rêve de vie meilleure pour l'enseignant. Comme tous les leaders des mouvements, il sera malmené, dénigré, tabassé, embarqué par la police, puis suspendu de son poste de travail dès les premiers jours de la grève, ensuite radié par l'inspecteur de l'Académie d'Alger puis réintégré. Sa détermination et son optimisme de mener la protestation des professeurs jusqu'au bout font de lui un interlocuteur redoutable du ministère de l'Education nationale. Cette énergie débordante et sa rage ont eu raison de sa santé. Il a quitté la famille de l'éducation sans qu'il touche son nouveau salaire, laissant derrière lui en chantier le statut particulier de l'enseignant. Adieu, M. Osmane ! Nabila Afroun