Abderrahmane Bergui, ex-arbitre international et président de l'association Ouled El Houma (chargée des activités sportives et culturelles au profit des jeunes non structurés des cités et quartiers) est également membre de la Commission nationale de l'insertion des jeunes détenus et chargé des activités en milieu carcéral. Nommé expert auprès du ministère de la Justice depuis quelques temps, M. Bergui était, en ce 11 décembre, au séminaire dédié à la justice des mineurs quand l'attentat à la voiture piégé a été perpétré par les hordes criminelles, à un jet de pierre du lieu où devait se dérouler la rencontre. Ayant repris ses esprits, il nous livre dans cet entretien les raisons majeures qui font que notre jeunesse se trouve dans une situation de désespoir sans précédent non sans mettre en valeur l'absence d'une stratégie de prise en charge. Le jour de l'attentat survenu le 11 décembre 2007 à Ben Aknoun vous étiez au cœur du drame. Pouvez-vous nous relater les moments pénibles que vous avez vécus ? Abderrahmane Bergui : Ce mardi 11 décembre 2007 restera gravé dans ma mémoire. J'ai été invité par le ministère de la Justice pour participer au séminaire, qui devait se dérouler du 11 au 12 décembre 2007 à la résidence des magistrats, pour débattre des problèmes des jeunes détenus. Juste après l'ouverture du séminaire par le secrétaire général du ministère de la Justice, nous avons ressenti une très forte déflagration qui a occasionné des dégâts considérables, ce qui nous a contraints à évacuer les lieux. À ma grande stupéfaction, j'ai pu constater l'étendue des dégâts et la gravité de la situation avec des scènes terrifiantes et épouvantables, des corps gisant sans vie et des blessés graves partout sur le long boulevard du 11-Décembre. Ce fut un véritable massacre. Je voudrais saisir cette occasion pour présenter aux familles des victimes mes plus sincères condoléances et un prompt rétablissement aux blessés. Devant de tels actes, aujourd'hui, il est du devoir de tout un chacun de s'impliquer pleinement pour faire face à ces moments douloureux. On a laissé entendre qu'il y a une démobilisation chez les citoyens, particulièrement chez les jeunes ? En ce qui me concerne je ne peux parler que des jeunes. À mon avis, ils ne sont pas démobilisés. Ils sont beaucoup plus désespérés de leur situation et de leur devenir. Le dernier discours du président de la République Abdelaziz Bouteflika, prononcé le 23 novembre 2007, consacré à la politique nationale de la jeunesse, a été clair et sans aucune ambiguïté sur la situation alarmante des jeunes et l'apparition du nouveau phénomène des harragas qui mettent en péril leur vie et déboursent des sommes importantes pour quitter notre beau pays avec toutes ses ressources. Cela veut dire que le problème de notre jeunesse s'est posé de lui-même. Le volet de la jeunesse est très sensible, malheureusement, on ne lui a pas accordé une très grande importance. Aujourd'hui, le résultat est là. Nous avons une frange de jeunes en difficulté livrés à eux-mêmes, marginalisés et exclus de la société et qui sont confrontés aux dangers quotidiens dans les cités et quartiers défavorisés et sensibles, ave tout le lot de fléaux comme la drogue, la délinquance, la prostitution, le chômage, ajoutés au manque d'animation et de loisirs. Et comme l'oisiveté est mère de toutes les tentations, cette jeunesse en difficulté devient une proie facile à la manipulation de toutes sortes. Aujourd'hui, on doit changer de vision à l'égard des jeunes en les considérant et on les respectant ils pourront réagir positivement en toute circonstance. Que préconisez-vous pour une meilleure prise en charge des jeunes en difficulté en proie aux graves manipulations et dérives ? Tout d'abord, il faut exprimer une volonté sincère pour les aider, et il faut s'attaquer aux causes beaucoup plus qu'aux effets. Nous avons remarqué qu'il y a absence flagrante de stratégie et d'un programme d'action concret en direction de la jeunesse. Dans l'immédiat, il faut agir dans le propre environnement du jeune sans aucun intermédiaire pour être à l'écoute de ses aspirations et préoccupations. Cette démarche de proximité permettra de recenser les véritables causes et les vrais problèmes de la jeunesse. Les promesses ne tiennent plus la route chez nos jeunes. Ils veulent du concret. En plus de vos activités en direction des jeunes des cités et quartiers en difficulté, vous êtes chargé aussi des activités en milieu carcéral. Qu'en est-il au juste ? Dans le cadre de l'insertion du jeune détenu par le sport, nous avons organisé plusieurs activités au sein des centres pénitentiaires et nous venons d'organiser la deuxième Coupe d'Algérie des détenus. Un événement inédit. Le projet d'insertion du jeune détenu qui est à l'étude sera réalisé avec la collaboration de la direction générale de l'administration des établissement pénitentiaires qui consiste à prendre en charge les jeunes détenus après leur libération pour les aider, les orienter et les soutenir pour les réinsérer dans la vie active et quotidienne. C'est la priorité de l'association Ouled El Houma. Quel rôle peut jouer le mouvement associatif en direction des jeunes qui sont livrés à eux-mêmes ? Le mouvement associatif est un partenaire incontournable et peut jouer un rôle très important s'il est doté de moyens et s'il est considéré comme un partenaire concerté avec les autorités locales pour définir les voies et moyens pour la mise en place d'un programme d'animation sportif, culturel et de loisirs de proximité ainsi que le domaine du social. Peut-on connaître la définition de “jeunes non structurés” que cible votre association ? Les jeunes non structurés sont une catégorie de jeunes qui, indécis par nature, n'activent qu'à la faveur d'une circonstance répondant à leurs aspirations et qui se regroupent en collectif d'une manière spontanée et qui ne bénéficient d'aucune aide ni subvention. De par son soutien informel, notre association permet à ces jeunes d'organiser leurs activités culturelles et sportives surtout pour s'adonner à leur sport favori qu'est le football. Un dernier mot M. Bergui ? Je souhaite que les ministères de la Jeunesse et des Sports, et de l'Emploi et de la Solidarité nationale ainsi que les collectivités locales se concertent plus afin de coordonner leurs actions. Les moyens existent, c'est la stratégie qui fait défaut. Entretien réalisé par Farid Belgacem