Désigné comme expert auprès du ministère de la Justice et membre de la Commission nationale de la réinsertion des jeunes détenus, ainsi que membre de la Commission intersectorielle contre la violence dans les stades, M. Bergui revient dans cet entretien sur la violence dans les stades, dans les cités et quartiers à très forte population, mais aussi dans les établissements scolaires où plusieurs affrontements entre jeunes, bandes rivales ont été signalés. Liberté : Votre association participe au prochain Salon de la production carcérale qui aura lieu du 19 au 23 octobre à Alger. Des experts anglais du Centre international des études sur les prisons ont classé l'association Ouled El-Houma parmi les meilleures organisations dans ce sens. Comment avez-vous décidé de prendre en charge les activités du jeune détenu ? Abderrahmane Bergui : L'idée m'est venue lors de ma visite aux Etats-Unis d'Amérique en 2003. J'ai été invité durant plus d'un mois par le mouvement associatif américain, ce qui m'a permis de visiter les établissements pénitentiaires américains. J'ai constaté que le sport est utilisé comme moyen de communication avec les jeunes détenus. On a commencé alors par une opération-pilote en 2004 dans l'établissement de Berrouaghia. À partir de là, nous avons réalisé toutes nos activités en direction des jeunes détenus dans le cadre de la réinsertion, et ce grâce au soutien du ministre de la Justice, garde des Sceaux, M. Tayeb Belaïz, et de nos partenaires, comme la Direction générale des établissements pénitentiaires, la DGSN, le Comité olympique algérien et la Fédération algérienne de football. Concernant ce salon auquel nous sommes effectivement invités à prendre part, nous comptons apporter toute notre expérience au profit des jeunes détenus, mais surtout du grand public. M. Bergui, nous avons relevé ces derniers temps une violence inouïe entres des bandes rivales qui se livrent à de véritables batailles rangées. Comment expliquez-vous cette violence, vous qui maîtrisez parfaitement l'environnement du jeune ? Aujourd'hui, et ce n'est un secret pour personne, dans les quartiers à très forte population, difficiles, défavorisés et parfois inaccessibles, il existe de nouvelles règles imposées par certaines organisations et certains réseaux, dirigées par des personnes malintentionnées qui profitent de la fragilité des jeunes en difficulté pour les manipuler afin de préserver leurs intérêts en préméditant des affrontements. Dans un environnement très hostile, les jeunes sont confrontés à tous les dangers, comme la drogue, la délinquance, le chômage, le manque de ressources financières, en sus de l'oisiveté, mère de toutes les tentations, mais surtout l'absence d'animation. Avec ces ingrédients, nos jeunes ne peuvent que sombrer dans la violence et le résultat est là. Mais rien ne pourrait justifier qu'il y ait mort d'homme. Et c'est là qu'on devra agir et vite. Mais comment, d'après vous, peut-on venir en aide à ces jeunes qui sont livrés à eux-mêmes ? On n'a pas le droit d'abandonner nos jeunes et nos enfants. Il est de notre devoir d'apporter aide et soutien à cette frange de jeunes, quel que soit le prix pour les soustraire de cet environnement hostile et criminel. Comme approche appropriée, on doit préconiser l'activité de proximité. C'est-à-dire de prendre attache dans le propre environnement du jeune, sans protocole ni formalité, pour être à l'écoute de ses aspirations et préoccupations et élaborer un programme qui réponde à la réalité du terrain afin de les aider. On doit s'engager pour améliorer les conditions de vie et encadrer les jeunes livrés à eux-mêmes dans les cités et quartiers très peuplés. Loin des discours ! Aujourd'hui, si l'on ne s'implique pas tous ensemble, il y a risque de voir la situation se détériorer et devenir difficile à maîtriser à l'avenir. Comment voyez-vous l'encadrement des jeunes dans les quartiers défavorisés et difficiles ? L'encadrement dans les grands quartiers et cités à très forte densité est devenu indispensable pour juguler le fléau de la violence pour être à l'écoute du jeune dans son propre fief. Cela ne peut se faire sans des jeunes qui sont doués dans l'organisation des activités de proximité et qui maîtrisent l'environnement du quartier. D'abord, en leur donnant une formation d'éducateurs de quartier qui pourront jouer un rôle très important et être un lien de transmission entre le jeune en difficulté et les autorités locales (APC, DJS et autres) qui auront pour tâche de recenser les problèmes du jeune pour pouvoir établir un programme qui réponde à la réalité du terrain. Et ce n'est pas du gâteau. On doit prendre acte et réagir concrètement. En face, on a constaté un regain de violence dans nos stades dès la reprise du championnat de football. Comment pouvez-vous expliquer cela ? Ce qui m'a vraiment étonné, c'est de constater que cette violence a fait son apparition en début de saison ! Ce n'est pas normal et ce n'est pas le fait du hasard. Car, de tout temps, c'est lors des matches de la phase retour du championnat, où les enjeux de la relégation et de l'accession sont élevés, que la violence apparaît. Cette escalade de la violence est due surtout à l'absence d'une stratégie et de programmes d'actions de base. À votre avis, au-delà des résultats des clubs, quelles sont les raisons réelles de la violence dans les tribunes ? L'une des causes principales, c'est les déclarations incendiaires, inconscientes et irresponsables de certains dirigeants à la presse,ce qui influe négativement sur les jeunes supporters. Aussi, il y a lieu de relever que notre football est pris en otage par des personnes qui agissent en toute impunité sans être inquiétées, et cela devient inacceptable avec les agressions, les manipulations, les intimidations et les morts d'homme. De quelle manière peut-on y remédier réellement ? Il est vrai que la situation est préoccupante, d'autant que nos stades sont devenus des lieux d'affrontement où règne l'insécurité, l'anarchie et la confusion dans la gestion d'une rencontre de football censée être un spectacle. Aujourd'hui, pour y remédier, il ne faut pas rêver. Il n'y a pas de solution miracle pour faire face à ce fléau. C'est en prenant nos responsabilités de la manière la plus simple, en s'attaquant aux causes qui sont à l'origine de la violence dans nos stades qu'à ses effets. La Commission intersectorielle contre la violence, présidée par le ministre de la Jeunesse et des Sports, a pris plusieurs mesures de prévention, en plus des projets de lois en préparation pour définir le rôle de tout un chacun pour s'impliquer dans la lutte contre la violence. La Fédération algérienne de football et la Ligue nationale de football, conscientes des conséquences de ce phénomène, ont mis en place une commission de lutte contre la violence dans les stades. Aujourd'hui, il appartient à tous les partenaires concernés de s'assumer pour lutter contre ce fléau qui n'est pas uniquement du ressort de la FAF et de la LNF, encore moins des services de l'ordre. C'est un problème qui concerne tout le monde, y compris l'école et les parents ! S'impliquant activement pour aider les jeunes détenus en milieu carcéral, ce qui a valu une reconnaissance sur le plan national et international, l'organisation Ouled El-Houma, que dirige Abderrahmane Bergui, s'est distinguée par les grandes activités dans le cadre de la réinsertion du jeune détenu par le sport et grâce à tout le travail accompli en direction de la jeunesse. L'ex-arbitre international semble avoir un œil critique, mais constructif sur la situation, lui qui maîtrise parfaitement l'environnement du jeune. Son expérience acquise sur le terrain, avec 30 années de carrière en qualité d'arbitre, l'a poussé, en 1992, à fonder l'Association Ouled El-Houma (chargée des activités sportives et culturelles des jeunes de quartiers non structurés), pour apporter aide et soutien aux jeunes en difficulté.