Il n'y a aucune étude sociologique et médicale qui mette en évidence les états d'âme des suicidés, voire des candidats au suicide. Le portrait type reste imprécis. Mouvant, il va de la petite angoisse jusqu'à la névrose dépressive. Une journée d'information, articulée autour du thème “suicide et prévention”, s'est déroulée hier à l'université Abderrahmane-Mira de Béjaïa, en présence de professionnels de la santé et de représentants de la société civile, auxquels se sont associés des psychiatres, issus du CHU de Brest (France). La rencontre a valu par des interventions fort intéressantes sur ce phénomène, qui a tendance à prendre des proportions inquiétantes. Il est vrai, selon les constats établis, que l'on n'a pas atteint la cote d'alerte, mais les chiffres, à eux seuls, interpellent sur l'urgence de prendre, d'ores et déjà, les devants en mettant en place un système de prévention approprié qui, à défaut d'enrayer la persistance, soit de nature à le contenir. Pourquoi les gens se suicident-ils ? La question est revenue, en effet, comme un leitmotiv sans qu'on arrive pour autant à apporter une réponse exhaustive et satisfaisante. C'est que jusqu'à présent, il n'y a aucune étude sociologique et médicale qui met en évidence les états d'âme des suicidés, voire des candidats au suicide. Le portrait type reste imprécis, mouvant, il va de la petite angoisse jusqu'à la névrose dépressive. La vie devient subitement insupportable. Trop stressante. Et la seule échappatoire est d'en finir. Terrible sortie. À l'évidence, des facteurs explicatifs et motivants ont été avancés, mais ils restent fondamentalement empiriques, n'obéissant à aucune étude rationnelle et scientifiques. Souvent, ils obéissent à des logiques conventionnelles liées aux difficultés objectives de la vie. Le Dr Timizar n'hésite pas à parler, à ce titre, d'énigme scientifique, dès lors que les motivations sont multiples (psychologique, psychopathologique et sociale). Cependant, il n'écarte pas la possibilité que le déterminant culturel soit fondamental, a fortiori en Kabylie, où cet élément est vécu comme une souffrance par de larges couches de la population. En fait, au-delà de l'aspect identitaire, le conférencier a surtout mis en exergue l'éclatement du cadre traditionnel et son impact sur la cohésion de la cellule familiale qui “de plus en plus se dénucléarise”, se déculture et se déliquéfie face aux mutations socio-culturelles, économiques et psychologiques. Pour étayer son propos, l'orateur, s'est appesanti sur la crise d'adolescence qui, estime-t-il, en se prolongeant en raison des conditions socio-économiques (scolarité, logement, etc.) charrie de plus amples “souffrances psychiques qui conduisent à des comportements suicidaires”. Ce qui n'était pas le cas antérieurement, du fait que l'adolescent en se mariant, précocement, rentre rapidement dans l'âge adulte, mais se trouve conforté dans son statut par tout un système de solidarité familiale et communautaire. Cette perception des choses a été largement soutenue par le Dr Griner, dont la conférence sur “les déterminants culturels et suicides” a suscité un intérêt réel. Etablissant, à l'occasion, des similitudes entre Béjaïa et Brest, dont le dénominateur commun reste leurs spécificités culturelles et identitaires, celle-ci a affirmé, sans ambages, que le taux de suicide, relativement élevé dans la région de la Bretagne (France), s'explique, fondamentalement, par le fait que “le droit français a renié le statut particulier de cette région”, détruisant toute son authenticité. Mme Griner mettra l'accent, à ce propos, sur la destruction du régime matriarcal qui caractérisait la région, la mise en cause de son sentiment et de son rapport à la religion, sa langue, etc., et dont l'acharnement s'est matérialisé par l'instauration d'un imaginaire fondé sur la superstition et un sentiment d'angoisse et de culpabilité à la fois individuelle et collective. Le résultat est là dans toute son hideur : 900 cas de suicides par an, n'hésitant pas à parler de “comportements de destruction”. À l'évidence, il y a là un raccourci, mais l'influence du déterminant culturel pour elle est réel, et trouve son pendant dans l'attitude suicidaire d'une partie de la population qui, pour signifier son désarroi, se réfugie dans “l'alcoolisme, les psychotropes, la timidité et le narcissisme”, d'ou l'évolution exponentielle des suicides. Quoi qu'il en soit, si les facteurs déterminants sont multiples, d'aucuns ont insisté sur la prévention afin d'en réduire l'ampleur. Le Dr Jousny, dans ce contexte, a mis l'accent sur les signes et messages de détresse des candidats au suicide, qu'il y a lieu de décoder. Pour lui, le suicide ne se réduit pas à sa propre personne, mais souvent, il est accompagné pour atteindre l'autre. Aussi, il n'a pas manqué d'appeler à la vigilance, dès lors que l'aveu d'une tentative de se tuer intervient en guise d'appel au secours, avant d'énumérer les fonctions du suicide (auto-agressivité, hétéro-agressivité, conduites ordaliques, etc.). Cependant, si la difficulté a été soulignée de détecter les cas de suicide même si des signes cliniques se manifestent, d'aucuns ont, en revanche, insisté sur la nécessité de multiplier les facteurs de protection. L. D.