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Les métiers traditionnels revalorisés
AIT YAHIA MOUSSA (TIZI OUZOU)
Publié dans Liberté le 21 - 08 - 2008

Aït Yahia Moussa est une commune érigée par décret présidentiel en 1971, en raison de son éloignement de la commune mixte de Draâ El-Mizan et aussi pour son engagement effectif durant la guerre de Libération nationale.
D'ailleurs au lendemain du cessez-le-feu signé par le colonel Krim Belkacem, chaque famille comptait en son sein au moins un chahid ou un moudjahid.
Quarante-six ans après cette indépendance chèrement payée, la région reste la plus pauvre de la wilaya de Tizi Ouzou pour ne pas dire de l'Algérie entière. Aucune entreprise économique aussi petite soit-elle n'a été réalisée dans cette municipalité qui regroupe plus de 23 000 habitants. À cause de la misère, nombreux sont les citoyens qui ont préféré s'exiler ailleurs en quête de conditions de vie minimales. Le chômage est endémique. Les citoyens de certains villages du versant ouest du chef-lieu, l'ex-Oued Ksari, ont carrément abandonné leurs maisons et leurs oliveraies leur seule ressource depuis l'avènement du terrorisme et son corollaire la terreur. Mais, tout de même, les métiers traditionnels ont repris dans de nombreux villages.
La canne d'Ath Houalhadj fait nourrir…
“Notre canne porte une marque culturelle importante. Certes, elle a été mise aux oubliettes durant quelques années, mais maintenant, elle représente tout de même un gagne-pain pour de nombreuses familles”, nous répond en premier lieu, M. Mohamed Seddiki de l'association Tighri qui fait la promotion de ce produit à chaque fois que l'occasion se présente. Il nous confie d'ailleurs que cet instrument a été exposé dans des salons à Alger, à Tadmaït, Fréha et Draâ Ben Khedda, l'ex-Mirabeau. Notre interlocuteur au fait du retour de la fabrication de tous ces objets en bois (cannes, manches pour pioche et à balai) nous donne même le nombre de canniers. “Ils sont environ une trentaine à Ath Houalhadj uniquement. Il y en a à Tafoughalt, à Ath Rahmoune et dans d'autres villages de la commune”, nous informe-t-il avant de nous citer ammi Saïd et ses enfants de Tizra Aïssa qui ont commencé à la fabriquer et à la commercialiser. À Ath Houalhadj, notamment durant les vacances, les lycéens et les étudiants participent à la fabrication. “Ils sont chargés par les professionnels de couvrir la canne de cuir ou encore de daim. Le façonnage est l'affaire des anciens”, enchaîne-t-il. Dans ce village, même les femmes sont associées à cette activité. Elles s'occupent du vernissage.
Interrogés sur le nombre de cannes et autres accessoires fabriqués en une semaine de labeur, M. Seddiki avance le chiffre de 2 à 3 000. Ces outils sont vendus à l'est et à l'ouest du pays et même à l'étranger. “Je vous assure que la canne d'Ath Houalhadj est arrivée même en Espagne. On la voit même dans des films syriens et autres feuilletons arabes. C'est Mouâmar Akli qui a eu l'idée de relancer la fabrication de cet objet artisanal. Cette activité est beaucoup plus prolifique au printemps. C'est la saison agricole par excellence. Défrichage, régénération de l'oléastre... En hiver, c'est difficile par le climat ne s'y prête pas”, ajoute le président de Tighri qui est lui aussi fabricant comme les autres.Le matériel utilisé n'est pas modernisé, à l'exception de deux ou trois fabricants qui ont introduit le rabot et la lime, d'autres n'utilisent que les outils traditionnels. Le prix de la canne varie entre 60 DA en gros pour la simple (utilisée par les pâtres) et 500 DA pour la plus sophistiquée, c'est-à-dire vernie et recouverte de daim. En tout cas, cette activité fait vivre des familles. On dit qu'à Ath Houalhadj, même les belles villas sont construites avec l'argent de la canne.
ENFIN, L'ACTIVITE RECONNUE
Après plusieurs démarches entreprises par l'association Tighri, la Chambre d'artisanat et de métiers a reconnu cette activité et elle l'a introduite dans la transformation du bois.
“Maintenant, les fabricants ont le droit d'avoir leur carte d'artisan. Ce qui leur permettra d'ouvrir à tous les avantages : soutien, aide dans le cadre de l'Agem et autres. Ils pourront ensuite bénéficier d'une carte auprès de la Casnos. Mais, ils doivent s'organiser”, précise à ce sujet M. Mohamed Seddiki. Effectivement, nombreux sont ces “artisans” qui veulent créer leur association. “Le premier objectif étant atteint, on essaiera de s'organiser pour avoir des avantages. Il faudrait le faire”, tel est l'avis d'un fabricant du village de Tizra Aïssa.
À QUAND UNE ASSOCIATION ?
Tout le monde s'accorde à dire qu'il est vrai que cette activité nourrit les familles, mais tout de même, les fabricants n'ont pas de couverture sociale. “Nous gagnons de quoi se mettre à l'abri de la pauvreté, mais nous aimerions avoir des droits et des avantages. Alors, nous avons pensé à la création d'une association”, tel est l'avis d'un des artisans d'Ath Houalhadj. Pour atteindre cet objectif, le président de l'association Tighri propose des journées de sensibilisation. “Tous les organismes doivent s'y mettre. Je cite par exemple les services de l'APC, ceux de l'Angem et pourquoi pas ceux de la Casnos qui devraient inviter des gens à contracter des contrats d'assurance leur permettant d'avoir des prestations”, réagit à ce propos. M. Mohamed Seddiki. Une telle association va même faire des démarches à ce que cette activité ait un statut à part entière. “Fabriquer des cannes n'est pas seulement la transformation du bois, mais aussi il faudrait savoir que la canne porte des marques culturelles qui lui sont intrinsèques. Du bâton du pèlerin en passant par taâkazth n'Cheikh Ahddad ou encore taâkazth n'Sidna Moussa (allusion faite au prophète Moïse), la canne a survécu des siècles. C'est donc toute une histoire”, explique le président de Tighri.
Les vanniers, les potières et les tisserandes ne sont pas en reste…
Dans cette commune qu'on a présentée comme étant l'une des pauvres, chacun de son côté en plus des canniers qui occupent une place importante dans la société, a recourt autres métiers artisanaux même s'ils ne sont pas assez développés. À côté des canniers, ce sont les vanniers qui aont repris petit à petit. L'un d'eux Boualem Keddache d'Afir, un autre village de la commune ne s'intéresse pas seulement aux corbeilles en osier ou encore aux chouaris (accessoire utilisé par les oléiculteurs), mais aux objets décoratifs. Ce vannier, hors du commun, peut avec quelques brins d'osier faire des objets utilisés dans la décoration : des veilleuses, de petites corbeilles en forme d'oiseau… De la vraie sculpture. Pour lui, il s'agit beaucoup plus de création que de commercialisation.
D'ailleurs, ces créations artistiques atterrissent dans tous les plus beaux salons d'Algérie. Ensuite, viennent les potières et les tisserandes. “Pour la première activité, je peux vous dire que dans chaque maison, il y a au moins une potière. Les objets fabriqués sont souvent utilisé dans le ménage. Je ne crois pas qu'il y a chez ces femmes l'esprit de faire du commerce parce qu'elles n'ont pas les moyens de le faire”, enchaîne notre interlocuteur. Les tisserandes satisfont uniquement leurs besoins. Il y a tout de même celles qui continuent à tisser des burnous, des couvertures en laine et des tapis. “Nous les fabriquons seulement sur commande”, nous a dit une vieille rencontrée au marché de Oued Ksari, venue écouler quelques ceinturons en laine, œuvre personnelle. Si ces activités donc sont là, on ne peut qu'être fier car non seulement ces personnes ne comptent sur elles-mêmes, mais elles valorisent un pan entier de notre culture.
un musée pour les objets artisanaux traditionnels urge
“Je lance un appel solennel aux autorités communales à inscrire dans leur programme un petit musée qui servirait à garder tous ces objets séculaires dont la valeur est inégalable. Ce sera une opportunité pour sauvegarder ce patrimoine culturel”, tel est l'appel du président de l'association Tighri. Cet acteur du mouvement associatif nous confie qu'il a pu amasser plus de 150 poteries dans différents villages de la commune. “Nous manquons d'espace pour veiller sur ce trésor.
Le musée sera ouvert non seulement aux visiteurs, mais aussi aux citoyens qui voudraient contribuer à la constitution de ce trésor”, a conclu M. Mohamed Seddiki.Cela étant, il est temps de prendre en charge tous ces métiers qui tendent à disparaître de notre environnement, le ministère de l'Artisanat est interpellé en premier lieu car il y va de ses prérogatives.
En attendant la concrétisation de toutes ces propositions, les canniers, les vanniers, les potières et les tisserandes ne désespèrent pas, ils continueront à faire leur marche vers un avenir meilleur.
O. GHILÈS


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