Le Maghreb semble cheminer subrepticement vers une situation d'embrasement depuis la révolution tunisienne, à laquelle succéda la révolution égyptienne et la très actuelle situation en Libye dont les seuls termes pour en rendre compte sont ceux du chaos, du désordre et de l'imprévision. Ce qui a contribué à aggraver et à prolonger la guerre civile qui a lieu en Libye, c'est surtout l'ingérence occidentale directe, y compris par des moyens militaires et des actions armées ciblées. L'Occident semble avoir très clairement exprimé le parti-pris de la liquidation physique plutôt que celui du dialogue politique et du principe du cessez-le-feu, dont l'un des effets serait d'épargner des centaines, voire des milliers de vies humaines, puisque la cause humanitaire semble être la première raison et la seule dont se revendiquent les Occidentaux dans la justification du droit d'ingérence. Qu'arrive-t-il au Maghreb ? Une situation d'instabilité qui touche une partie, mais qui déteint, par la force des choses et de l'interdépendance très étroite entre tous ces pays, sur les autres. La Tunisie, qui a connu la Révolution du Jasmin et qui semble s'inscrire dans un processus difficile de construction des institutions, subit des soubresauts répétés du fait de la rencontre entre des aspirations libertaires et des ambitions sociales, cela dans un tumulte social qui est celui de la détresse et la désillusion des uns, et l'opportunisme des autres. Le contexte économique est en passe d'y devenir celui de la crise chronique en dépit de tous les soutiens, alors que la maîtrise sécuritaire n'est plus qu'un souvenir que trahissent à la fois l'évasion de pas moins de 800 prisonniers de droit commun, autrement dit 800 criminels que même une révolution majeure ne permet pas de blanchir, et la difficulté avec laquelle les services de sécurité aux frontières libyennes ont géré les «faits de guerre» qui se sont produits en territoire tunisien. Deux signes pour un seul fait, à savoir une situation très peu enviable en Tunisie et une déliquescence sécuritaire d'une part, et d'autre part une tendance au débordement du conflit libyen au-delà des frontières de ce pays ; aujourd'hui vers la Tunisie, demain peut-être vers l'Algérie et on ne sait quel autre phénomène pervers induit par la grande manœuvre de déstabilisation qui dépasse la très légitime volonté populaire. La lucidité algérienne dérange-t-elle ? Quoi qu'il en soit, dans ce tumulte qui profite aux opportunismes occidentaux, l'Algérie est écoutée, mais pas entendue. Pourtant, très respectueuse de ce qui est arrivé en Tunisie qui émanait d'une volonté populaire, l'Algérie a tenu à relativiser la réalité des faits en Libye en mettant en garde contre une guerre civile. Les faits qui ont suivi ont donné raison à l'Algérie, mais la fuite en avant des va-t-en-guerre se poursuit, l'Otan adoptant la surdité de celui qui veut mettre la communauté internationale devant le fait accompli. L'Algérie est écoutée, encore une fois, sans être entendue, s'agissant du risque d'une transmission, via le conflit en Libye, d'une trop grande capacité de nuisance et d'action aux terroristes d'AQMI dans la région subsaharienne et du Sahel. Voilà que cette voix, qui se perd dans l'infini désertique, rencontre celle du Mali, dont la bonne connaissance du présent immédiat de la région devrait pousser à l'inquiétude lorsque des voix officielles de ce pays se déclarent préoccupées par ce qui se passe dans la région par rapport à ses conséquences sur la gestion sécuritaire et de la lutte antiterroriste. Dans ce contexte de grandes manipulations et de grandes tentations d'ingérence, l'Algérie multiplie les mises en garde, tout en accentuant les effets d'antidote sur la scène sociale interne, alors qu'au Maroc, où l'on commence à se féliciter, comme en Algérie d'ailleurs, d'une embellie en matière de communication entre les deux Etats, voilà qu'à Marrakech des faits regrettables viennent inquiéter, voire «terroriser» des desseins constructifs. Que se passe-t-il au Maghreb ? Trop de divisions ont été propices à trop de manipulations et les marionnettistes semblent pratiquer leur téléguidage avec d'autant plus d'aisance qu'il est certain, à chaque offensive dans ce sens, qu'ils mettent leurs cibles sur la défensive, celles-ci ayant ménagé très peu d'espace de dialogue avec leurs administrés. Le Maghreb des nations qui n'a pu se faire dans des conditions optimum en se fondant sur tant de choses en commun, dont le destin économique par-dessus tout, confirme les affinités internes qui lient tous ses peuples, y compris celles qui se ressentent dans la douleur et la sang. Farès N.