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«Nous nous acheminons vers la partition de la Libye dans cette logique de confrontation entre populations»
Chems Eddine Chitour, professeur et politologue :
Publié dans Le Temps d'Algérie le 18 - 04 - 2011

Spécialiste des questions régionales, notamment le conflit libyen, le professeur Chems Eddine Chitour développe une analyse critique sur l'intervention occidentale dans le pays voisin. Il estime que les médias occidentaux et arabes (El Jazeera surtout) n'ont pas joué un rôle professionnel. Ils ont choisi le côté de l'opposition en déviant carrément la mission aussi noble, qui est celle d'informer sans parti pris.
Le Temps d'Algérie : Que pensez-vous de la situation en Libye après l'initiative africaine de médiation entre les tribus libyennes en conflit actuellement. Selon vous, pourquoi l'ONU n'a pas soutenu l'action de l'UA quant au règlement de ce conflit ?
Chems Eddine Chitour : L'absence de l'ONU dans l'initiative de médiation de l'Union africaine s'explique par la position prise par le Conseil de sécurité, qui avait opté pour une intervention militaire. A l'exception de la Chine et de la Russie, les autres pays membres du Conseil de sécurité ont pris la décision de détruire les infrastructures militaires de la Libye, sous prétexte de protéger les populations civiles des massacres. Mais il se trouve que le grand problème aujourd'hui est le fait que le pays est en train de s'enliser. Des pays comme la France veulent à tout prix passer à une autre étape.
Elle demande à l'Otan de faire plus. Or, cette organisation se dit tétanisée par le fait que la résolution adoptée ne prévoit pas de débarquement sur le sol libyen. La France et l'Angleterre souhaitent débarquer au sol, pour éviter une débâcle fatale à la rébellion.
C'est la réalité actuellement des combats militaires des deux camps. C'est un conflit qui risque de s'enliser et de durer longtemps. Le monde occidental s'attendait à la fin du règne de Kadhafi en 15 jours. Ce qui ne s'est pas produit en fin de compte, après près de deux mois de guerre.
C'est plutôt le contraire qu'on constate quotidiennement avec la reprise en main des villes de l'est par les forces libyennes. Cela confirme aussi qu'il existe un grand problème entre les tribus et les populations libyennes opposées les unes contre les autres. C'est donc un conflit qui ne peut se régler sur le plan militaire. C'est vraiment impossible, sauf si les Libyens veulent reprendre les expériences afghanes.
D'ailleurs, le Conseil national de transition libyen avait donné au départ son accord à l'Union africaine pour le règlement du conflit avec les autres factions du pays. Mais sous l'effet de la pression extérieure, il a dû changer de position en suspendant les négociations au départ définitif du pouvoir du guide de la révolution libyenne, Mouammar Kadhafi.
Globalement, les Nations unies ne veulent pas contribuer à l'initiative de paix en Libye, en dehors des résolutions du Conseil de sécurité. Ce dernier a pris partie pour le règlement de la crise libyenne par le langage des armes. Par contre, il existe un élément nouveau dans la situation actuelle, celui de la position de l'Otan. Sans l'appui des Etats-Unis d'Amérique, cette organisation ne peut pas intervenir au sol. Les Etats-Unis d'Amérique se disent non concernés par le conflit libyen.
Les frappes françaises et britanniques ne peuvent pas influencer et précipiter le départ de Kadhafi. C'est pour cela que ces pays veulent aller vers une intervention militaire terrestre.
Cela ne peut pas se faire sans le vote d'une nouvelle résolution permettant aux troupes françaises d'intervenir sous couvert de l'ONU, comme cela s'est produit en Côte d'Ivoire.
Sur ce plan, je pense que la Russie et la Chine ne vont pas laisser la France y intervenir et comptent brandir leur veto.
Pensez-vous que la mission de conciliation entre les différentes tribus en conflit en Libye peut réussir et faire obstacle à la guerre civile qui sévit actuellement, étant donné que les zones de conflit sont plutôt du côté est du pays ?
Il faut avouer que la mission africaine n'est pas vraiment en mesure de prendre en charge ce conflit, étant donné la composante de la délégation choisie à cette action et la participation de Jean Ping à la conférence de Doha, au Qatar, où il était question d'une option politique de règlement du conflit mais sous couvert des Occidentaux. Il y a une ambivalence dans la position africaine. Elle n'est pas encore nette.
Mais, pire encore, c'est la position de la Ligue des Etats arabes qui a été décevante avec les agitations de Amr Moussa qui veut se placer comme futur président de l'Egypte en ayant le soutien des pays occidentaux. Cette médiation ne peut pas avoir lieu, du fait des exigences des insurgés. Il faut savoir aussi que les médias occidentaux dramatisent la situation. Combien même que le soutien sera apporté à la rébellion, nous nous acheminons vers la partition du pays dans cette logique de confrontation entre populations.
Dans ces conditions, les Français et les Anglais seront plutôt intéressés par la région orientale afin de disposer des richesses pétrolières du pays. C'est la Libye utile, au même scénario irakien. D'où la précipitation des Français pour mettre sur le tapis une nouvelle résolution et accuser l'Otan de ne pas faire son travail, alors que plus de 50% des actions sont entreprises par les forces de l'Otan. Des interventions qui ont fait des dégâts énormes en termes de morts de civils innocents et les forces libyennes qui défendent Kadhafi sont toujours puissantes sur le terrain.
Comment expliquez-vous le rôle du Qatar dans ce conflit. Il rappelle à bien des égards celui de l'Egypte dans le conflit irakien. Justement, l'Egypte est totalement absente dans le conflit libyen. Quelle est votre analyse sur ces nouvelles données ?
Le Qatar est un petit pays avec un nombre de population de 100 000 habitants. Mais qui sont assis sur une richesse inestimable, un gisement de 25 000 milliards m3 de gaz. C'est un pays créé en petites pièces et n'existait pas avant, durant l'existence de l'Empire ottoman.
Le fait qu'il contienne près de 15% des réserves mondiales de gaz naturel, il est devenu intouchable. Il a été choisi également comme porte-flambeau de la culture et de l'idéologie occidentales en terre arabe et musulmane. C'est un valet aux ordres des pays occidentaux qui a développé des capacités de nuisance notamment envers les pays arabes.
Il dispose de la chaîne El Jazeera qui a basculé dans la politique occidentale, après avoir joué le rôle de porte-parole des révolutions tunisienne et égyptienne. Ce qui est plus grave encore, c'est le fait qu'elle diffuse de fausses informations sur les pays arabes de manière à déstabiliser les populations.

Certains analystes évoquent justement un rôle de propagande mené par les médias occidentaux et arabes. Sommes-nous face à une guerre des infos et des images de manière à affaiblir psychologiquement un camp ? Que pensez-vous de cette question de traitement de l'information ?
Il est clair que la chaîne El Jazeera ne s'adresse pas au peuple qatari. Elle vise à avoir de l'influence sur l'opinion des pays arabes en jouant sur certaines sensibilités. Elle exploite à fond également la frustration des jeunes et les faiblesses connues des sociétés arabes.
Finalement, ce n'est pas une chaîne neutre et professionnelle. Elle fait de l'opposition pour le compte d'un groupe occulte. Elle a vendu son professionnalisme. C'est un média occidental qui parle en arabe.
Autre chose, il existe une contradiction flagrante dans le pays du Qatar. Comment peut-on demander un changement du régime dans un pays arabe, alors que le tien est dirigé de la même manière.
La chaîne El Jazeera gagnera en crédibilité et la confiance des téléspectateurs lorsqu'elle prendra en charge l'investigation sur son pays. Elle commencera par évoquer la nature du pouvoir au Qatar et pourra ensuite s'intéresser à d'autres pays. C'est mal sain cette façon de travailler et de vouloir tout basculer dans une société. Aussi, il est connu que les Qataris ne travaillent pas. Ils ont une rente de 40 000 dollars par habitant.
Ils peuvent tout se permettre et se moquer des autres peuples. Leur gaz est hypothéqué. Sur le plan militaire, les Qataris ne pèsent rien devant les Libyens. C'est incroyable cette guerre psychologique à laquelle se livre le Qatar qui dit que le monde arabe est contre Kadhafi.
Comment expliquez-vous l'absence de l'Egypte dans le conflit libyen ?
L'ancienne architecture du système dictatorial de Moubarak a disparu et avec elle l'empressement de soutenir les causes occidentales. C'est la réalité de l'Egypte actuelle, dont le peuple ne reconnaît pas les choix de l'ancien système proaméricain.
A chaque tentative de reprendre la philosophie de l'ancien système, le peuple égyptien reprend la rue et occupe la place Tahrir jusqu'à provoquer une crise entre le Premier ministre et l'armée dirigée par un ancien fidèle de Moubarak, à savoir le maréchal Tentaoui.
Il faut vraiment du temps pour voir la nouvelle diplomatie égyptienne qui sera désormais tenue par le peuple et non pas par les salons et les cercles fermés. La démonstration a été faite déjà depuis la chute du dictateur Moubarak, actuellement menacé par une lourde condamnation.
Il faut dire que le bouleversement de l'Egypte a entraîné toute la région, d'où peut-être l'empressement des Occidentaux à maintenir la région arabe sous pression de manière à faire face à la révolution des Tunisiens et des Egyptiens. Il faut savoir que les Occidentaux n'ont pas apprécié les changements intervenus en Egypte et en Tunisie, des pays autrefois présentés comme des modèles de réussite, alors que dans la réalité les populations étaient opprimées.


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