De nombreux Algériens se rendent, chaque année, en pèlerinage à Essaouira, sur la côte atlantique du Maroc. Essaouira est le haut lieu de la musique gnaouie, un rassemblement de toutes les confréries et écoles rattachées à ce patrimoine très en vogue, depuis peu, en Algérie. Il existe même à Alger des agences de voyages qui offrent un séjour culturel dédié au festival Gnaoua et Musiques du Monde qui s'ouvre, ce jeudi, pour quatre jours de rythmes effrénés et de transes mystiques. Chez nous, le regain d'intérêt pour la musique gnaouie se veut très « officiel » avec le festival Diwane de Béchar, dûment institutionnalisé et qui tente, cahin-cahin, de se faire une place à l'ombre d'Essaouira, la véritable Mecque gnaoua, une référence mondiale. Ceci dit, le plus intéressant dans la vague gnaoua en Algérie est très certainement l'aspect « underground » des jeunes formations musicales qui vouent à cet art authentique un culte sincère. On retrouve, de nos jours, dans de nombreuses compositions, des standards de la musique Gnaoua comme « Allah ya Moulana », une incantation emblématique s'il en est. Et si les organisateurs marocains d'Essaouira ont choisi pour directeur artistique le batteur algérien Karim Ziad, c'est pour exprimer, d'une certaine manière, leur profond désir de revivifier partout à travers l'Afrique du Nord jusqu'en Egypte ce patrimoine ancestral qui était, jusque-là, en passe de disparaître dans notre contrée. En se réappropriant ce genre musical, l'Algérie reconnaît enfin la part africaine de sa culture. Mieux, avec l'engouement pour cette musique, nous assistons peut-être à un rapprochement entre les deux rives du Sahara. Cela étant, la réminiscence de cette culture n'en jette pas moins une lumière crue sur les rapports qu'a pu entretenir l'Afrique noire avec l'Afrique blanche. La traite négrière en terre d'Islam n'est pas, pour ainsi dire, une vue de l'esprit. C'est une vérité historique que de rappeler hélas que les Arabes (et même les Berbères) ont longtemps été de grands esclavagistes ! La musique gnaouie est donc issue du «blues» ressenti par les descendants d'esclaves subsahariens originaires du Mali, du Sénégal, du Soudan, du Ghana... Leurs ancêtres furent amenés de force au Maghreb par les anciennes dynasties almoravides et almohades notamment. Essaouira revisite-t-elle, ainsi, un passé douloureux ? Non, pas vraiment ! Il y existe une tradition d'échanges, de fusion, de dialogue des cultures et même de syncrétisme religieux qu'on ne retrouve pas ailleurs. Pour ne pas faillir à cette tradition, le concert d'ouverture qui aura lieu à place Moulay-Hassan sera le fruit d'une résidence artistique, une création entre le Maâlem marocain Abdelkebir Benseloum Kbiber et le Malien Baba Sissoko, petit-fils du célèbre griot Djeli Baba Sissoko. Maâlem Abdelkebir Benseloum est surtout connu pour ses prestations avec Bnat Houariyat de Marrakech, avec lesquelles il a eu à sillonner l'Europe. Quant à Baba Sissoko, il est le maître incontesté du tama, un tambour capable de produire des mélodies, un instrument à percussion traditionnel dont le son peut être régulé à l'infini. Le tama fait partie de la lignée des « talking drums », les tambours qui parlent ! Héritier d'une dynastie de griots maliens, Baba Sissoko est le premier musicien à avoir introduit le tama, un instrument traditionnel dans la musique moderne malienne. Une véritable révolution. Encore une ! Baba Sissoko est également un multi-instrumentiste de talent. Il joue successivement du n'goni, du kamalen'goni, du balafon, de la calebasse et …même de sa voix très suave. Très demandé à travers le monde, Baba Sissoko a collaboré notamment avec Buena Vista Social Club, Dee Dee Bridgewater, l'Art Ensemble of Chicago, Youssou N'Dour, Ibrahim Ferrer, Omar Sosa... Pour en revenir à Essaouira, il faut savoir que l'ancienne Mogador n'est pas connue uniquement pour son festival Gnaoui. Elle a été souvent immortalisée au Cinéma, notamment par Orson Welles, qui y tourna son Othello (The Tragedy of Othello) en 1952, et par Ridley Scott en 2004, dans Kingdom of Heaven où il reconstitua la Jérusalem médiévale. Aujourd'hui, les touristes affluent du monde entier, multipliant par dix la population durant le «Maoussem» gnaoui. Est-ce à dire qu'il s'agit d'un festival exotique ? Oui, très certainement ! Les rites de possession et la transe des adeptes seront un spectacle à part entière. Un spectacle dans le spectacle, pourrait-on dire. Une des vertus de la musique gnaouie est, paraît-il, d'apaiser le corps et l'âme. Certains y parlent même de pratiques animistes et de culte vaudou. Bien sûr, les organisateurs s'en défendent et veulent, eux, rompre avec ces procès en sorcellerie. On va bien voir ! Car comme dirait Prévert : on n'en entre pas en transe sans danser !