Les exportations de la Libye de 1970 à 2009 étaient, selon le FMI, de l'ordre de 578 milliards de dollars contre 714 milliards pour l'Algérie et les importations de 357 milliards de dollars contre 555 milliards pour l'Algérie. Cependant, selon certaines sources qui sont en train d'éplucher les comptes de la Libye, les déclarations d'exportations officielles sont trompeuses car, pour gonfler leur fortune, les proches de l'ancien leader Kadhafi ne déclaraient pas tout ce qu'ils exportaient. Au sein d'une grande firme, surtout dans le domaine des hydrocarbures, qu'elle soit d'origine américaine ou européenne, il faut être attentif à la part des actions où nous constatons des participations croisées relevant de plusieurs nationalités. Aussi, tout au plus, pourra-t-on assister à un pompage plus intensif. L'enjeu stratégique objet de rivalités sera certainement la reconstruction de la Libye dont le coût serait de l'ordre de 400 milliards de dollars. On prévoit d'augmenter la production de pétrole à 3 millions de barils par jour à l'horizon 2013-2015. La reconstruction sera certainement facilitée grâce à la ressource humaine libyenne. C'est que la Libye est le premier pays africain et arabe ayant un indice de développement humain en 2010 de 0,847, ce qui en fait le premier pays du continent africain, le premier du monde arabe et le premier du monde musulman. Pour comparaison, ces chiffres placent la Libye au niveau des pays de l'Europe de l'Est et devant la Russie, le Brésil et la Chine. La période de Khadhafi synonyme d'autoritarisme et de concentration des richesses entre les mains d'une minorité Nous sommes dans une situation paradoxale : un Etat riche mais une population pauvre avec un déséquilibre spatial. Comme pour la Tunisie et l'Egypte, les rapports internationaux tant du FMI, de la Banque mondiale que de l'OCDE, qui publient des indicateurs macro-économiques globaux triomphants, ont été biaisés car omettant d'analyser la répartition spatiale très inégalitaire (Benghazi a été délaissée, ce qui explique que la révolte s'est ébranlée dans cette province) et la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociales. La concentration excessive du revenu au profit d'une caste, la corruption généralisée, une justice aux ordres et l'absence de moralité des dirigeants expliquent les révoltes populaires, accentuées grâce à la nouvelle révolution des télécommunications, le village mondial virtuel d'Internet. C'est le constat après la chute des régimes égyptien, tunisien et libyen, les familles de ces dictateurs et de leur entourage accaparant la richesse de leurs pays respectifs, ce qui a enfanté l'extrémisme et le terrorisme derrière lesquels ces dirigeants se sont paradoxalement cachés pour avoir le soutien occidental. Mais il y a une nouvelle donne internationale et ces discours trompeurs, comme ceux à usage de consommation intérieure invoquant l'ennemi extérieur, l'impérialisme, ne marchent plus et ne peuvent mobiliser une population consciente des pratiques de leurs dirigeants. Le cas libyen n'échappe pas à cette règle. C'est un Etat riche avec une population majoritairement pauvre, son économie est rentière comme dans la majorité des pays arabes riches en hydrocarbures et l'opacité de la gestion de cette rente renvoie à la nécessaire démocratisation de la gestion des hydrocarbures. Ainsi, Seif El-Islam, longtemps présenté comme le dauphin de Mouammar Kadhafi, contrôle le secteur stratégique via le groupe public One Nine Petroleum et la presse à travers One Nine Group. Aucune publication ne pouvait exister sans l'accord de cet organisme intimement lié au pouvoir libyen. Autre domaine sensible, les télécommunications. Et c'est Mohamed Kadhafi, un autre fils du leader libyen, qui contrôle ce secteur. Pour l'immobilier, c'est un autre fils Saâdi qui le contrôle. En 2006, il avait lancé la construction d'une ville entière située dans une zone à forte valeur touristique et c'était la famille qui contrôlait les fonds souverains. Aussi, sur une population active de 2,5 millions, nous avons près d'un million de fonctionnaires et une grande partie de la population presque inactive, avec des emplois fictifs via les distributions de la rente des hydrocarbures loin des segments créateurs de valeur ajoutée pour deux raisons : les femmes sont au foyer (77 % des actifs sont des hommes). Les femmes libyennes peuvent, sans trop d'obstacles juridiques, participer à la vie économique et sociale, mais, en réalité, de sévères préjugés les découragent dans les faits de s'engager dans l'activité économique du pays. Le taux d'inscription des femmes dans l'enseignement supérieur dépasse aujourd'hui celui des hommes, mais sans conséquence sur le marché du travail. Deuxième raison, les subventions accordées aux citoyens ne les incitent pas à aller au travail. Afin d'éviter la prise de conscience politique, on a fait du peuple libyen un peuple d'assistés. Pour les travaux pénibles, ce sont les employés marocains, égyptiens, tunisiens, algériens, africains ou asiatiques qui s'en chargent. 50 % de la main-d'œuvre est étrangère. L'avenir de la Libye est dans le fédéralisme et l'intégration de l'Afrique du Nord La reconstruction politique, sociale et économique de la Libye sera difficile, le CNT étant actuellement très hétéroclite (intellectuels, hommes d'affaires, islamistes, anciens cadres et ministres de l'ancien régime) et devant être représentatif de l'ensemble des régions. Il faut aller impérativement vers la réconciliation nationale afin de rétablir la sécurité des biens et des personnes. Il ne faut pas être utopique.◊D'une manière générale, la démocratie dans les pays arabes ne se fera pas du jour au lendemain. Les prix Nobel institutionnalistes d'économie ont montré récemment clairement que de nouvelles institutions prennent du temps pour leur efficacité. Ce qui donne l'impression d'anarchie à court terme, mais ce ne sont que des illusions entretenues par les tenants de l'ancien système (après moi le déluge, l'homme providentiel), alors que les institutions dictatoriales créées administrativement n'ont aucune ou peu de légitimité. Au contraire, les institutions démocratiques, tenant compte de l'anthropologie culturelle évitant de plaquer des schémas importés occidentaux sur une structure sociale particulière, s'insérant dans le cadre d'une nouvelle régulation politique, sociale et économique , sont porteuses d'un développement durable car assurant la symbiose Etat-citoyens. Le plus difficile attend les Libyens, celui de la construction du pays tant sur le plan politique qu'économique. La Libye n'a pas d'institutions au sens véritable du terme. Elle n'a pas également de véritable économie, comme l'Algérie, excepté les hydrocarbures. Cependant, la Libye a des potentialités énormes surtout en ressources humaines, richesse bien plus importante que toutes les ressources en hydrocarbures. Sans entrer dans les détails, selon mes informations d'amis d'experts libyens, on s'orienterait vers une démocratie parlementaire se fondant sur la régionalisation économique et politique pour tenir compte d'une bonne représentativité du fait du poids tribal qui devrait assurer la cohésion nationale. L'une des tâches immédiates du CNT est de faire adopter une nouvelle Constitution et d'organiser des élections libres avec l'acceptation de tous de l'alternance, un régime parlementaire où le Premier ministre serait issu d'une majorité parlementaire qui aura la confiance du Parlement et doit gouverner en application du programme pour lequel il a obtenu les suffrages du peuple. Le président jouera le rôle d'arbitre, de garant des institutions, de l'intégrité territoriale, des libertés individuelles et de la représentation nationale dans les instances internationales. Ce renouveau institutionnel doit avoir pour objectif le développement économique dans le cadre d'un vaste ensemble comme facteur d'adaptation à la mondialisation. Les peuples de cette région ont témoigné et témoignent de leur attachement à l'union du Maghreb. La crainte de «bouleversements incontrôlables» qu'impliquerait une dynamique unitaire est à l'origine d'un conservatisme stérile et contraire aux intérêts des populations. En ce XXIe siècle, l'ère des micros-Etats est résolu. La démocratisation de la région favorisera l'intégration maghrébine, pont vers le Moyen-Orient et l'Afrique. L'avantage comparatif, c'est-à-dire rentrant dans le cadre de la compétitivité internationale à l'heure de la mondialisation, du Maghreb n'est ni en Europe, ni aux USA, encore moins en Asie mais d'abord en son sein, puis en Afrique, un continent vierge source de toutes les convoitises et qui abritera 1,5 milliard d'âmes à l'horizon 2025. En bref, comme pour toute nation, la Libye sera ce que les Libyens voudront qu'elle soit. (suite et fin)