Intensifiant la pression sur Vladimir Poutine, des dizaines de milliers de Russes sont redescendus samedi dans les rues de Moscou pour réclamer la tenue de nouvelles élections législatives. Deux semaines après une première journée de mobilisation réussie, les manifestants, qui scandaient : «La Russie sans Poutine» ou «Nouvelles élections», étaient 28 000 selon la police russe. En début d'après-midi, un organisateur a avancé la présence de 100 000 personnes massées sur l'avenue Sakharov par un froid soleil d'hiver. Des cars de police étaient stationnés aux abords de l'avenue, mais les forces de sécurité ne sont pas intervenues. De nombreux manifestants arboraient un ruban blanc, symbole de la contestation. «La dernière manifestation a fait une impression formidable et je veux que d'autres viennent et se rendent compte qu'ils peuvent se battre pour leurs droits. Nous connaissons tous les résultats des élections et nous savons tous à quel point ils sont malhonnêtes», témoigne Andreï Tchernichov, un étudiant de 22 ans croisé dans la foule. Sur la scène érigée sur l'avenue et surmontée d'une banderole barrée du slogan : «La Russie sera libre !», l'écrivain Boris Akounine a été l'un des premiers à prendre la parole. «Voulez-vous que Poutine revienne à la présidence ?», a-t-il lancé, déclenchant un concert de sifflets. Une vingtaine d'orateurs devrait se succéder. La venue de Mikhaïl Gorbatchev est annoncée. L'architecte de la pérestroïka et dernier président de l'Union soviétique a confessé vendredi dernier dans les colonnes de la Novaïa Gazeta, sa «honte» d'avoir soutenu Poutine lorsqu'il a succédé à Boris Eltsine au Kremlin en 2000. Le 10 décembre, six jours après les législatives aux résultats contestés, des dizaines de milliers de Moscovites avaient convergé vers la place Bolotnaïa pour dénoncer des fraudes et donner à la manifestation un tour sans précédent depuis l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, en 1999. La nouvelle mobilisation de samedi est un succès pour le mouvement disparate né de la contestation des résultats des législatives du 4 décembre. Regroupant libéraux, nationalistes, anarchistes, écologistes et jeunes urbains, l'opposition affirme que la victoire de Russie unie, le parti présidentiel qui a conservé de justesse sa majorité absolue à la Douma d'Etat, résulte de fraudes massives. Ils réclament l'annulation du scrutin et la tenue de nouvelles élections, l'enregistrement de partis d'opposition, l'éviction du président de la commission électorale et la libération de détenus considérés comme des prisonniers politiques. Certains veulent aussi la démission de Poutine. Un avis du Conseil des droits de l'homme rattaché à la présidence russe a donné du baume au cœur aux opposants. Il estime que les allégations d'irrégularités — confirmées par des observateurs étrangers — ont jeté le discrédit sur la nouvelle Douma. Cela constitue «une véritable menace contre l'Etat russe», ajoute le conseil qui estime également que le président de la commission centrale des élections, Vladimir Tchourov, devrait démissionner. L'avis n'est que consultatif, mais il renforce la motivation des contestataires, qui ont également reçu l'appui d'Alexeï Koudrine, un proche de Poutine dont il fut le ministre des Finances pendant onze ans, jusqu'à septembre dernier. «Je partage vos émotions négatives liées aux résultats des élections législatives dans notre pays», écrit-il dans une tribune publiée sur le site internet du quotidien Kommersant. Face à cette mobilisation, l'actuel Premier ministre, qui entend retrouver la présidence à l'occasion de l'élection de mars prochain, et le chef de l'Etat, Dmitri Medvedev, ont rejeté l'idée d'annuler le scrutin. Medvedev a cependant promis jeudi de refondre le système politique en rétablissant l'élection au suffrage direct des gouverneurs des régions, abolie en 2004 et remplacée par un processus de désignation par le Kremlin. Il a également promis d'assouplir mes règles d'enregistrement des partis politiques. Mais les opposants jugent que les ouvertures sont trop timides et trop tardives, et considèrent en outre que Medvedev, en fin de mandat, n'aura pas les moyens de les faire appliquer, lui qui a officialisé en septembre l'inversion attendue des postes, Poutine briguant de nouveau la présidence à l'élection de mars prochain et proposant à son dauphin la direction du gouvernement.