En 1963, j'étais coopérant, instituteur à Alger. J'avais 21 ans et c'est aussi dans cette ville dont je suis épris depuis que j'ai foulé son sol et appris le droit à la faculté, rue Didouche Mourad, près de la Grande-Poste, quartier auquel je suis toujours très attaché. Nous recevions l'enseignement de professeurs dont les discours drainaient sur les bancs de l'amphithéâtre non seulement les étudiants mais aussi des gens de la rue, simplement heureux d'apprendre le fonctionnement de l'Etat nouveau. Il est vrai qu'à cette époque on parlait beaucoup d'autogestion, de réforme agraire, de pouvoir aux travailleurs et de la création de sociétés nationales pour faire fonctionner tous les grands secteurs économiques de l'Etat. Oui, vraiment, cette époque a été un moment très fort dans ma vie. Je dois beaucoup à l'Algérie, car en même temps que l'Etat se construirait, c'est ma personnalité qui se forgeait ! Et si par la suite le destin m'a conduit à retourner en France, à Paris, puis à Marseille, où j'exerce la profession d'avocat depuis plus de 35 ans, où je retrouve des fragments de cet Alger au détour de certaines rues, votre culture votre enthousiasme, votre pays ne m'ont jamais quitté. C'est avec la plus grande joie que j'y suis revenu ces dernières années, pour tenter d'apporter ma modeste contribution dans un domaine d'activité que je connais bien : le droit du sport, ainsi que la boxe, grâce à laquelle je côtoie de nombreux jeunes Algériens qui tentent leur chance à travers le noble art, à Marseille comme ailleurs. Car, comme une maison ne peut se passer de fondations, un peuple, un pays, un Etat ne peut se passer de son Histoire, qu'importent les tensions ou les querelles. Rome ou Paris ne se sont pas faits en un jour tout comme aucun Etat ailleurs. Les difficultés que vous avez pu rencontrer, et celles que vous rencontrerez encore ne doivent pas vous détourner du but que poursuivaient les moudjahidine qui ont risqué ou donné leur vie pour une seule cause : la liberté. Les commémorations du cinquantenaire de l'Indépendance ont été l'occasion pour vous, peuple algérien, de regarder en arrière, d'être fier de ce qu'ils ont accompli. L'Algérie vit. Bien ? Elle vit, se développe, se modernise. Il y a 50 ans, avec l'indépendance acquise, au prix d'une longue et sanglante lutte, le chaos et l'anarchie lui étaient promis par certains observateurs qui se sont trompés. L'impression dominante que donne l'Algérie est celle d'un pays au travail, en pleine expansion, travaillant à combler – et c'est visible de l'est à l'ouest, du littoral au Sahara – le vide social, culturel, économique. Car, à considérer tout ce qui s'est déjà fait, ce qui se fait, ce qui se projette dans le pays (usines, écoles, logements, hôpitaux), on mesure encore mieux l'état dans lequel était plongée l'Algérie. La culture d'entreprise, une cause nationale. Le pays est toujours en pleine mutation dans tous les domaines. Le travail durant ces années commence à porter ses fruits, et les résultats de la triple révolution industrielle, agraire et culturelle sont désormais tangibles, même si des lacunes sont encore visibles dans bien des secteurs. Mais pour mesurer le chemin parcouru, il convient de se souvenir des conditions qui prévalaient en 1962 : bouleversée par huit ans de guerre, déchirée entre une élite de formation française et une masse de culture arabo-islamique, dramatiquement privée par le départ massif des Européens, l'Algérie semblait mal partie. Son développement n'en est que plus impressionnant. Et l'exemple algérien a beaucoup contribué à la prise de conscience des possibilités réelles dont disposent les pays encore sous-développés pour battre en brèche la politique néo-colonialisme de l'impérialisme d'où l'autorité internationale incontestable et incontestée dont bénéficient la République algérienne et son président M. Bouteflika. Après une période nécessaire où l'Etat a dû s'occuper de tout, on comprend qu'aujourd'hui il n'ait plus cette vocation. Ce sont aux hommes, individuellement ou en groupe, qu'il appartient désormais de trouver les solutions de leur propre initiative. Ainsi ont été créées les conditions dans lesquelles c'est une Algérie pleinement souveraine qui vient de fêter dignement les cinquante ans de son indépendance. Il nous faut à présent imaginer la réussite de la troisième génération, la vôtre après celle qui a conquis au prix du sacrifice l'indépendance et celle qui a ensuite construit l'Etat. Vos aînés ont livré bataille pour l'indépendance de votre pays. Vous incarnez aujourd'hui une nouvelle génération, celle à qui appartient l'avenir du pays. Vous devez le servir et réussir car les moyens humains et les atouts économiques ne manquent pas. L'émergence — face aux richesses actuelles de l'Algérie et celles encore inexploitées — d'une classe d'entrepreneurs, doit être favorisée par le développement de la culture d'entreprise du secteur privé et en même temps reposer sur le principe que tout citoyen est acteur et qu'on ne saurait se passer de son concours actif. Une révolution des esprits s'impose car ce sont aux habitants du pays d'influer sur leur propre destin en n'oubliant pas que la vie en société repose sur un certain nombre de règles communes, de valeurs partagées et de comportements librement acceptés. Aux politiques de faire de l'entreprenariat chez les jeunes l'une des grandes causes nationales des prochaines années et d'entraîner les nouvelles générations vers le bonheur de construire. C'est une belle façon de parler d'avenir et des aspirations nouvelles pour la troisième génération La société ici et dans le monde a beaucoup changé au cours des dernières années. Pour l'Algérie d'aujourd'hui et de demain, il faut une classe de citoyens, conscients de ses droits et devoirs et qui participe à la vie de la communauté nationale sous ses aspects certes politiques mais aussi économiques et sociaux. L'Algérie dispose de potentialités avec ses richesses en hommes en raison de l'importance de la population, ce qui est un atout mais aussi des richesses naturelles exceptionnelles de sa terre et de son sous-sol (pétrole, gaz...). D'où le privilège pour un Algérien, d'appartenir à un pays plein d'avenir, qui ne doit plus avoir besoin aujourd'hui comme demain de ce qu'on appelle «la main de l'étranger». A vous d'assumer votre propre destin et en même temps celui de votre pays. Demain, une classe d'entrepreneurs, de décideurs doit être présente à tous les niveaux. Nous savons tous que depuis la chute de l'Union soviétique, les régimes d'économie socialiste ou planifiée n'existent plus. Nous sommes dans des sociétés pluralistes et c'est aujourd'hui le règne de l'économie de marché. Alors, oui, les jeunes Algériens doivent s'ouvrir et pénétrer tous les pans du social et de l'économie avec une conscience citoyenne, avec civisme en s'intéressant à la chose publique, c'est-à-dire l'évolution du pays. Le civisme c'est un comportement, se forger des convictions raisonnables et éclairées. C'est également participer aux divers processus des affaires du pays. Tout citoyen est acteur et vous avez un rôle éminent à jouer dans la gestion du pays. Vous devez vous épauler, vous aider, vous aimer, comme nous, anciens coopérants, étions en arrivant en Algérie après l'indépendance, qui avait besoin d'aide et de solidarité. Vous devez donc mettre toutes vos compétences et vos énergies au service du développement et du rayonnement de l'Algérie. Que vous soyez audacieux, ambitieux, travailleur, idéaliste, vous devez avoir des convictions, le goût de l'engagement, en particulier celui de servir le pays, aussi bien au sein de l'Etat, des collectivités que dans le secteur privé. Ayez cette volonté et le goût de la compétition, le goût d'entreprendre et l'esprit de conquête. Pour livrer bataille, il faut le goût de la compétition mais pour réussir il faut soutenir la valeur du travail, soutenir le risque car la prospérité du pays doit être aussi entre les mains d'entrepreneurs. Créer une entreprise est une bonne idée, il faut avoir l'âme d'entreprendre et l'esprit de conquête. C'est un choix de vie aussi noble que le service de l'Etat. C'est aussi un challenge pour ceux qui rêvent d'indépendance, mais il faut être combatif, tenace, avoir confiance en soi et persévérant. Voilà les moteurs puissants qui doivent animer le jeune entrepreneur. Il ne doit pas se décourager et doit surmonter les obstacles. C'est un travail d'équipe, de partage et de responsabilité. J'ajouterai que le sport favorise les tempéraments d'entrepreneurs car il développe : - le courage - l'esthétique - l'esprit de compétition et bien d'autres valeurs encore. Dans l'entreprise, on peut aussi revendiquer ces qualités. Et il faut savoir en découdre comme l'ont montré, au prix de leur vie, vos glorieux ancêtres. L'esprit de conquête, c'est votre engagement, votre capacité à créer des richesses, des emplois. Si dans les premières années de l'indépendance, l'idéologie dominante a tourné le dos à l'esprit d'entreprise, aujourd'hui vous pouvez créer et gérer des entreprises, prendre des initiatives, avoir des projets. L'Etat dispose des richesses pétrolières. A vous de développer l'économie de marché. Le tissu de l'artisanat, des PME est très riche. Il ne demande qu'à se développer. C'est aussi l'avenir de l'Algérie. Vous ne serez pas des privilèges mais des passionnés, des combattants ne comptant pas les heures de travail. La prospérité de l'Algérie est largement entre les mains de ces entrepreneurs. Ceux qui ne pensent qu'en suréglementant l'économie font fausse route. Il faut choisir l'esprit de conquête, même le rayonnement hors des frontières. Soutenons la valeur du travail, soutenons le risque, encourageons les initiatives privées car rien ne peut se faire sans l'audace. J'ai connu ici l'exaltation d'un pays à bâtir au lendemain de l'indépendance. J'ai été conquis par vos aînés dans l'idée et l'exemple que rien ne peut être fait sans l'audace, le travail et sans une âme de vouloir réussir. Je ne doute pas que grâce à vous l'Algérie est appelée à jouer un grand rôle dans l'histoire du monde de demain, aussi bien dans le système de la mondialisation que dans la sphère géographique de la Méditerranée. Tel est le pari que je vous offre. Il n'implique aucune illusion de ma part. C'est une affaire d'hommes, chaque citoyen est directement responsable de l'évolution des choses. Aucune politique ne pourra réussir sans un minimum d'adhésion et de volonté individuelle. Je vous invite à retrousser les manches et je voudrais contribuer à faire comprendre à chacun ce qu'il peut faire et quelle est sa responsabilité personnelle à condition de vouloir et de comprendre. Le défi est redoutable. Il doit être relevé. Et si je vous ai convaincus, alors j'ai vraiment gagné mon pari. Enfin, un dernier mot. Nous allons vers une mondialisation de l'économie et l'Algérie n'y échappe pas. Bien au contraire, avec ses richesses naturelles, elle sera au premier plan. Les pays n'ont jamais été aussi interdépendants, mais les Etats ne doivent pas démissionner de leurs responsabilités. Je suis personnellement partisan d'un renforcement de la puissance des Etats. L'Algérie est justement l'un de ces Etats, et grâce à ses richesses, elle a la possibilité de construire un Etat fort et ce challenge est le vôtre pour les années à venir. C'est un nouveau pari pour les nouvelles générations.