L'islamologue et chercheur en sciences religieuses, Soheib Bencheikh, a appelé, depuis Oran, à «dépasser l'irrationalité du discours religieux ambiant» afin que la société « puisse vivre pleinement dans la modernité». «Le frein empêchant la réalisation de la modernité réside dans le gavage de notre société par un discours religieux, confus et irrationnel, qui envahit la place publique et les institutions», a déclaré Soheib Bencheikh lors d'une conférence au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC). Le conférencier a relevé que les références du discours religieux actuel «ne sont que des lectures personnelles, alors que l'islam représente une référence absolue». «Les hommes et les femmes ont une lecture de l'islam en fonction de leurs attentes, de leurs aspirations, de leur condition et de leur appréciation», a-t-il souligné, citant le Coran, la sunna, l'ijmaâ (consensus) et l'ijtihad comme seules références de la religion musulmane. M. Bencheikh estime que toute recherche, même scientifique, en matière de religion «devrait s'armer de prudence et de modestie, sinon d'égard». «Il est nécessaire, dit-il, d'entreprendre une véritable archéologie des mots par le biais d'approches philologiques et linguistiques», ajoutant que le chercheur doit retrouver les véritables signifiants auxquels renvoie le texte fondateur de la religion, «lesquels constituent et finalisent le dogme». Il est vrai que depuis les années 1990, la religion a été incorporée d'une façon considérable dans la société algérienne. Pourtant, même sous le colonialisme, la quasi-totalité des Algériens étaient des musulmans. Ce n'est qu'après avoir légalisé les mouvements islamistes dans le champ politique, qu'un autre islam radical et violent a fait son apparition dans note pays. Le retour de plusieurs djihadistes d'Afghanistan a beaucoup influé sur la société algérienne, qui, endoctrinée, ne vit que par l'islam importé de Kaboul, Peshawar et autres régions afghanes. Les représentants de ces partis religieux en Algérie ont profité de cette occasion pour instrumentaliser l'islam à des fins purement politiques pour arriver au pouvoir. Le citoyen qui était tolérant et qui n'a jamais rejeté même les juifs ou n'importe quel étranger est redevenu subitement intégriste et ne peut même pas admettre son propre frère algérien. L'ensemble des moyens ont été utilisés par ces mouvements qui instrumentalisent l'islam et le Coran pour induire en erreur la population. Nous n'apprenons rien à personne ce qui s'est passé dans notre pays lors de la décennie noire où l'Algérie a payé un lourd tribut et on n'est pas encore sorti de l'auberge. Avant de gagner les maquis, des milliers de jeunes seront endoctrinés, prêt à assassiner leurs propres parents. Le seul moyen d'éviter à notre pays de replonger dans les années de l'enfer consiste à appliquer les lois de la République et de séparer la religion et la politique. Ancien mufti de Marseille, Soheib Bencheikh est l'auteur de plusieurs ouvrages traitant de l'islam en France, de la modernité et de la laïcité. Parmi ses titres les plus connus figurent Marianne et le Prophète, Désacraliser le droit musulman » et L'islam face à la laïcité française.