De Bab El-Oued, drapé de larges banderoles aux couleurs vert et rouge du Mouloudia, fusent les derniers tubes à la gloire du Doyen pour aller croiser, dans les dédales escarpées de la Casbah, les mille et une mélodies, imaginées par les choristes de l'USMA, incollables sur ce registre. Dans les quartiers de la vieille médina d'Alger qui ne vivent qu'au rythme de la finale de la coupe, les supporters des deux clubs rivalisent en ingéniosité pour marquer leur supériorité, calculée à l'aune des dimensions des tifos déployés et de décibels lâchés par les fans mouloudéens et usmistes, habitués à vivre de telles sensations lorsque la passion fait battre les coeurs deux fois plus vite. Et très souvent, cette passion s'exprime plus intensément lorsque l'enjeu se trouve être une coupe qui fait se rencontrer les deux équipes, pour la cinquième fois, ce 1er mai. Attrayante, la finale entre les deux clubs, l'est, à bien d'égards, par la passion qu'elle charrie, la charge symbolique qu'elle recèle et l'euphorie sans limite qu'elle procure. Aussi loin que remontent les souvenirs, le «duel» entre l'USMA et le MCA n'a jamais été circonscrit au seul rectangle vert. L'effervescence d'avant match, empruntant à l'agitation, et le décor coloré, planté, au travers des rues d'Alger, a toujours préfiguré de chaudes retrouvailles mais jamais de dépassements. Entre l'USMA et le MCA, les débats ne tournent pas seulement autour du football. Cela fait déjà longtemps qu'ils ont été transposés dans le registre puriste de la musique châabi que résume cette empoignade aussi fraternelle qu'affectueuse entre le défunt Hadj M'rizek, appelant «celui qui veut pratiquer le sport à rejoindre le Mouloudia» et son disciple Hadj défunt, El Hachemi Guerrouabi, lançant une invitation aux amoureux du football pour «aller découvrir du côté de Soustara le raffinement et l'élégance du jeu usmiste». Les taquineries cordiales entre l'USMA et le Mouloudia, c'est aussi El Hachemi Guerrouabi, chambrant son ami, l'ex-avant-centre mouloudéen, Hacene Tahir, l'espace d'une soirée châabie aux senteurs de jasmin, lorsque l'issue du match tournait à l'avantage des rouge et noir. Le passage d'un camp à un autre, un impair C'est que les rencontres entre l'USMA et le MCA soulèvent les passions des foules et donnant aux fans, le sentiment d'appartenance à un quartier plutôt qu'à une ville. L'unité de mesure, ainsi réduite, favorise une extériorisation plus affirmée de ce sentiment, expliquent des sociologues. C'est, en fait, une spécificité propre aux derbies, ici comme ailleurs : on naît usmiste ou mouloudéen comme on naît MO Ciste et pas fan du CS Constantine ou encore Hamraoua pour le Mouloudia d'Oran et pas ASMO. Le passage de témoin, de génération en génération, devenant une règle à respecter.Ce marquage strict de territoire n'autorisait, dans le temps, aucune reconversion. Jadis, le passage d'un camp à un autre était considéré comme un impair à ne pas commettre. C'était valable, lorsque les joueurs, évoluant dans les clubs voisins, étaient des mordus de leur équipe et y entamaient, dès leur jeune âge, leur carrière. Les Meziani, Bernaoui, le défunt Keddou, Branci... ne sont jamais passés de l'autre côté de la barrière ni d'ailleurs les Aouedj, Metrah, Bachi, Zenir, n'ont lorgné du côté de Bab Djedid. Aujourd'hui, un pied de nez est fait à ce sacro-saint principe d'immuabilité qui fixe les joueurs dans le club de leur cœur. Preuve édifiante : Noureddine Deham, le bourreau de l'USMA de la finale version 2006 pour avoir marqué les deux buts de la victoire du MCA, se retrouve, cette année, à l'USMA et promet de refaire le coup de 2006... dans le sens inverse. Et si la passion a, toujours, été fortement remuée, à la veille de chaque rendez-vous entre les deux clubs, elle n'aura jamais été sous tendue par une quelconque animosité. Les joutes, pour chaudes qu'elles puissent paraître, ne sont empreintes ni de rivalité exacerbée ni de tension manifeste. De nombreuses familles comptent des supporters dans l'un et l'autre club et «cohabitent» de manière assez intelligente pour ne laisser place à aucun débordement. La proximité fait que les deux voisins de palier, humant la même brise du soir et bercés par la même symphonie du clapotis que produisent les vagues de la plage El Kettani, partagent beaucoup de souvenirs mémorables comme l'ambiance créée dans la légendaire tribune du virage du stade de Bologhine. Ils continuent, comme ils le faisaient hier, à arpenter, ensemble, le chemin du Frais-Vallon pour se rendre au stade du 5-Juillet, lorsque sonne l'heure des derbies.