La Nouvelle République : Pourriez-vous nous expliquer quelles sont les fonctions du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme en Belgique ? Patrick Charlier : Le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme est une institution publique fondée par une loi du 15 février 1993. C'est une institution publique indépendante qui travaille de manière autonome. Elle n'est pas issue de la société civile et n'est ni une administration, ni une ONG, ni un mouvement de pression. Nous sommes, ce qu'on appelle au niveau international, un organe de l'égalité ou un Equality Body, ou encore une institution nationale des droits de l'Homme. Le Centre est d'ailleurs reconnu comme institution nationale de type B par les Nations unies. Nos deux grandes tâches visent à lutter contre toute forme de discrimination, d'une part en promouvant la diversité et l'égalité des chances, et d'autre part en effectuant une série de missions en matière de droit des étrangers, liées aux droits des étrangers, de participer à la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains et d'éclairer les pouvoirs publics sur la nature et l'ampleur des flux migratoires. Nous avons donc une mission couvrant le volet discrimination et une autre couvrant la migration. Concernant la mission discrimination, nous sommes compétents pour tous les critères prévus dans la loi à l'exception de deux catégories importantes, qui sont le «genre» puisqu'il existe une institution spécifique qui est l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes et les discriminations sur base de la «langue». Pour le reste, nous pouvons traiter les discriminations raciales, celles liées aux convictions philosophiques et religieuses, l'âge, le handicap, l'orientation sexuelle, l'état de santé, la fortune, les caractéristiques physiques, etc. Vous venez de prendre la direction du Centre, quelles seront vos tâches prioritaires ? En fait, nous sommes deux directeurs et mon travail consiste à piloter le travail du Centre et de mettre en œuvre le plan stratégique qui a été adopté par notre conseil d'administration. Il s'agit de mettre en pratique ces décisions quant à nos différentes missions. Le premier aspect tient dans la réception des demandes, des requêtes, des signalements individuels, ensuite dans leur traitement, l'ouverture des dossiers, la recherche des solutions, ou l'action en justice. Le deuxième volet comprend la participation ou l'organisation des campagnes de promotion, de sensibilisation et d'information, voire l'organisatin des formations — car nous avons un service formations — la promotion de la diversité, des politiques de la diversité qui sont mises en place, la production des recherches, des études, des données chiffrées sur la situation soit des migrants, soit des groupes cibles et groupes minoritaires en Belgique. Ce sont là nos missions et donc au niveau de la direction, il s'agit de coordonner, d'organiser le travail et d'encadrer. Nous sommes à la veille d'une réforme importante du Centre et nous devons aussi préparer cette transformation, parce qu'à l'avenir, il n'y aura plus un seul centre mais deux, soit un centre migration et un centre discrimination. Le centre discrimination sera également compétent pour les matières des communautés et des régions en Belgique, par exemple sur les questions d'enseignement, de transport public, logement public, etc. Etablissez-vous des rapports conjoncturels et à quelles tutelles les soumettez-vous ? Nous publions chaque année quatre rapports différents. Nous avons tout d'abord un bref rapport d'activité qui fait une présentation du Centre et de nos activités principales, plus les questions de budget et le conseil d'administration. La loi dit que nous devons remettre ce rapport au Premier ministre mais on l'envoie très largement au Parlement, aux ministres et aux différentes autorités. Ensuite, nous avons annuellement trois rapports de contenu, le premier étant un rapport sur les discriminations et l'égalité des chances. Cette année, ce rapport a été publié fin mai. Dans chaque rapport, nous avons un focus particulier que nous choisissons chaque année et nous avons mis cette fois l'accent sur les questions de l'âge. L'année passée, nous l'avions consacré à des questions de liberté d'expression, précédemment c'était sur le handicap. Le second rapport est un rapport migration qui regroupe toute une série d'informations sur les flux migratoires comportant de nombreux chiffres et données qui expliquent la réalité de la migration, quels sont les canaux de migration en Belgique et, de manière comparative, dans les autres pays européens. Il y a également de nombreuses analyses et recommandations sur des projets et des propositions de loi et de la législation. Le troisième rapport qui est en cours de rédaction — les trois autres rapports ayant été publiés — concerne la lutte contre la traite des êtres humains. C'est un rapport spécifique qui est transmis au Parlement. En fait, nous transmettons tous nos rapports au Parlement et à toutes les autorités au niveau des différents gouvernements en Belgique. L'engagement du Centre dans la défense du droit des étrangers ou des minorités et contre le racisme est bien connu, pensez-vous qu'il soit pris en compte par les autorités ? En partie, oui, mais pas nécessairement en permanence, parce que tant qu'il y aura des questions qui se posent, un Centre sera nécessaire. C'est vrai qu'il arrive que suite à des recommandations que nous formulons, des modifications sont apportées aux législations, aux réglementations ou aux pratiques. Mais nous ne sommes pas toujours entendus, cela dépend un peu des sujets et des thématiques, de l'impact budgétaire, ou tout simplement de ce que nous proposons. Nous avons notamment une mission importante en matière de handicap depuis 2011. Il existe une convention des Nations unies sur le droit des personnes handicapées qui demande que les Etats désignent un mécanisme indépendant de promotion, de protection et de monitoring de cette convention. C'est le Centre qui a été désigné pour être ce mécanisme. Et donc dans ce cadre, nous travaillons sur des recommandations ou sur des projets et des propositions de loi et il arrive que nous soyons entendus. Sachant que vous êtes spécialisé dans les discriminations, pensez-vous que la crise économique actuelle en Europe favorise la recrudescence des discriminations en tous genres, que ce soit dans le monde du travail ou dans la société ? Effectivement, c'est un risque qu'en situation de crise, les groupes qui étaient les plus susceptibles d'être discriminés le soient encore davantage, quand la compétition entre les personnes est plus importante et donc l'accès à des droits ou à l'emploi est plus difficile pour des personnes qui étaient peut-être déjà, du fait de la société, dans des situations désavantagées. C'est une réalité. Ce que l'on constate aussi, c'est que la crise et l'inquiétude qu'elle génère provoquent une forme de recrudescence de toute une série de préjugés ou de stéréotypes à l'égard des groupes qui sont différents et là, on ne se trouve pas dans la discrimination mais dans des discours ou des actes de haine. On peut citer l'évolution en matière d'islamophobie qui est significative mais aussi d'antisémitisme, et l'on voit, notamment sur internet, le développement d'un discours où les musulmans, les demandeurs d'asile, les étrangers en général, sont décrits comme étant des gens qui ne devraient pas rester ici, qui sont inadaptés à notre société, etc. On constate effectivement un développement de ce type de discours. On ne peut pas exclure qu'il y ait un lien avec la crise, où la tendance à se replier sur soi-même est favorisée par ce genre de situation. Vous arrive-t-il de traiter des dossiers de ressortissants algériens en Belgique et avez-vous des conventions ou des accords avec l'Algérie concernant ce sujet ? Nous n'avons pas de convention ou de collaboration spécifique avec l'Algérie sur le sujet en question. Il m'arrive personnellement d'effectuer parfois des missions internationales dans le cadre soit du Conseil de l'Europe, soit du Haut-Commissariat des droits de l'Homme des Nations unies. A cet égard, je suis allé en novembre dernier au Maroc, à l'invitation de l'ECRI (Commission européenne contre le racisme et l'intolérance) et du Conseil de l'Europe, le Maroc étant désireux de créer une autorité de la parité et de lutte contre les discriminations pour sa nouvelle Constitution, et ils souhaitaient savoir ce qui se faisait dans d'autres pays. Mais ce sont des missions ponctuelles sans qu'il y ait de convention particulière. Je n'ai pas les chiffres par rapport aux ressortissants algériens en particulier mais il est vrai que toute personne susceptible de faire l'objet d'une discrimination peut s'adresser au Centre, et sur les questions de migration également. Il y a très certainement des personnes de nationalité algérienne qui ont déjà fait appel au Centre, mais la communauté algérienne n'étant pas la plus représentée ici en Belgique et la probabilité d'avoir des personnes d'origine et de nationalité marocaines ou turques par exemple est plus importante. C'est tout simplement lié au nombre de personnes qui sont sur le territoire belge. Entretien réalisé à Bruxelles par Mohsen Abdelmoumen et Jocelyne de Ruytter (*)Biographie Patrick Charlier Juriste belge né en 1966, il est le directeur adjoint du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme en Belgique. Depuis 2001, date de son arrivée au Centre, Patrick Charlier a assuré différentes fonctions, la dernière étant celle de coordinateur du département discrimination. Depuis 2010, il a été désigné par les autorités belges comme le membre indépendant du conseil d'administration de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA). Il est également membre fondateur de l'Observatoire international des prisons - section belge, et membre suppléant de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI à Strasbourg).