«Ramadan est plus souple à Beijing (Pékin) et l'on n'y ressent moins le poids de l'abstinence», résume Chamssedine El Hajraoui, directeur du Centre de recherche maroco-chinois et qui vit depuis plus de 16 ans en Chine. L'Empire du Milieu compterait entre 20 millions et 30 millions de musulmans, dispersés partout dans ce pays-continent. A Beijing, les musulmans de la capitale sont basés essentiellement dans le quartier Niu Jie tout autour de la mosquée. C'est dans cette mosquée que se rassemblent la majorité des musulmans de Pékin durant le mois sacré. Dès les premiers jours du mois et même un peu auparavant, des calendriers sont distribués dans les principales mosquées et les restaurants musulmans. Tout y est précisé, du premier jour du mois jusqu'à la fête : les horaires des prières, le coucher du soleil, la rupture du jeûne, des repas... selon les régions. En Chine, l'annonce du mois sacré et l'apparition de la Lune sont calculées selon une méthodologie pointue, astrologique et non sur la simple apparition du croissant. Dans la mosquée de la Vache à Pékin, «l'imam donne le prêche en arabe et en chinois», témoigne Chamssedine El Hajraoui. Selon lui, les imams font de plus en plus un effort de vulgarisation et de traduction dans les mosquées, surtout pendant les taraouihs. Ils expliquent le contenu des versets coraniques et les préceptes de l'islam en différents dialectes chinois. Dans ces lieux de culte «made in China», les calottes blanches et les voiles sont de plus en plus visibles durant le mois sacré. D'année en année, le nombre de pratiquants ne cesse de croître. Aujourd'hui, plus de 700 imams officiels dirigent les prières et donnent des prêches dans quelque 300 mosquées en Chine. L'empire du Milieu a aussi ses imams femmes. Appelées nü ahong, elles exercent uniquement dans des mosquées pour femmes, les nü si. En fait, les lieux de cultes exclusivement destinés aux femmes ne datent pas d'hier. Ils remontent au XIIIe siècle. Leur apparition remonte à la dynastie des Yuan (XIIIe). Certains chercheurs l'attribuent à l'arrivée de nombreux musulmans d'Asie centrale ayant épousé des femmes autochtones. Converties à l'islam, ces dernières auraient cherché à se doter de lieux qui s'apparentent aux associations bouddhistes et taoïstes organisées alors par des femmes. Comme toutes autres les religions en Chine, l'islam est soumis à des restrictions. L'interdiction du prosélytisme vient en tête des restrictions. Ce qui explique que l'appel du muezzin ne saurait être audible qu'à l'intérieur des mosquées. «C'est aussi pour ne pas incommoder les riverains des mosquées», répète-t-on à Beijing. Autre restriction : tous les imams doivent avoir leur autorisation du gouvernement. Ce qui sous-entend la suprématie de l'Etat sur la religion. La Chine est officiellement un pays bouddhiste, mais l'athéisme y est aussi fortement représenté. L'Empire du Milieu prône également la liberté du culte. Ce qui se traduit parfois par une interprétation très large ou simpliste de la religion. Il arrive que des musulmans ne jeûnent pas ou boivent du vin pendant le mois sacré. D'autres se limitent à la Chahada et à la prière. D'autres encore se contentent du strict minimum de la religion : la Chahada. Mais ceux qui pratiquent n'ont rien à envier à leurs coreligionnaires de La Mecque et du Caire. Ils passent des heures dans les mosquées à invoquer Dieu et se plongent dans une intense ferveur. A l'heure du f'tour Le f'tour à Beijing est assez particulier. Le repas riche en calories est généralement composé de sucreries, des gâteaux qui ressemblent à la chebbakia, mais aussi la fameuse soupe chinoise à la vermicelle (appelée pang). Les fruits secs (prunes, abricot, noix, amandes...) sont consommés à volonté durant ce repas, de même qu'un pain spécial, le neng. C'est une variété de pain, rond, gonflé au milieu. Pour le plat de résistance, les Chinois raffolent des pâtes aux viandes durant le mois sacré. D'autres consomment plutôt des soupes au riz et des plats variés (œufs aux tomates, fromages chinois d'origine végétale...). Après le f'tour, les musulmans de Chine boivent beaucoup de thé avec une spécialité locale qui s'apparente au sellou. Le café n'est pas dans les habitudes du pays de Mao. En revanche, les rafraîchissements sont consommés à volonté: différents types de jus de fruits (raisin, pomme, orange, pêche...). A chaque Ramadhan, des repas de f'tour sont gracieusement servis dans les mosquées. De même, dans les universités chinoises, où il existe une communauté d'étudiants musulmans, le repas du shour est servi à l'ensemble des étudiants, toutes obédiences confondues. Autre particularité des musulmans chinois : la charité s'intensifie les dix derniers jours du mois sacré. La communauté organise des échanges inter régions: «Des voyages entre musulmans à Shanghai, Beijing, Yinchuan... ainsi que des causeries religieuses et débats sont tenus durant cette période», précise El Hajraoui. Et d'ajouter: «cela permet aux musulmans de vivre leurs différences en communauté et en même temps découvrir leur pays dans la ferveur». Les musulmans de Ningxia L'Islam chinois a plus de 1 200 ans d'histoire. La plus grande communauté musulmane est celle des Hui. Basés au nord de la Chine, les Hui comptent pas moins de 10 millions de fidèles. On les retrouve particulièrement dans la région autonome de Ningxia, les provinces du Gansu et du Henan. Les musulmans de Ningxia seraient des descendants de commerçants du Moyen-Orient qui empruntaient la route de la soie sous la dynastie des Tang et des Chinois qu'ils avaient convertis. Les Hui ont leurs propres spécificités. Ils manifestent un attachement indéfectible à l'islam. Selon Elisabeth Allès, auteur de Musulmans de Chine, les signes extérieurs de cette communauté se manifestent par «l'apposition du premier verset de la première sourate du Coran à l'entrée des maisons, le port du calot blanc, le respect d'interdits, en particulier celui de la consommation du porc, la célébration des principales fêtes religieuses musulmanes, les différents moments de rassemblement au sein des mosquées... et la fidélité à la même mosquée». Autrefois, les Hui faisaient partie des musulmans les moins orthodoxes. Ils fumaient et buvaient. Peu d'entre eux se laissaient pousser des barbes, et les femmes portaient rarement le voile. Entre-temps, l'influence des wahabites est passée par là. Les mosquées sont bondées le vendredi; le port du voile et de la calotte se généralise. Et les Hui sont de plus en plus nombreux à se rendre à La Mecque. Les jeunes étudiants musulmans de cette région s'inscrivent dans des universités au Moyen-Orient pour parfaire la maîtrise de la langue arabe, suivre des études islamiques, voire développer des affinités culturelles.