Paralysie de l'ONU, coup d'arrêt britannique à l'action sans feu vert onusien, hésitations de la superpuissance américaine... La tragédie syrienne est le révélateur d'une situation inédite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : une gouvernance mondiale dans l'impasse, un monde sans gendarme. Le grand diplomate britannique Brian Urquhart, qui participa à la création des Nations unies en 1945 et en fut le secrétaire général adjoint, m'a raconté un jour, à la parution de ses mémoires (A Life in Peace and War), comment l'idéal de coopération internationale de l'immédiate après-guerre s'est rapidement évanoui : «Au début des Nations unies, il y a eu un esprit de coopération formidable, mais ça a duré seulement six mois. Petit à petit, l'esprit de la guerre froide s'est emparé de la machine et l'a grippée.» L'équilibre de la terreur Mais pendant la guerre froide, c'est l'«équilibre de la terreur» entre les deux grandes puissances, les Etats-Unis et l'Union soviétique, qui a largement servi de système de gestion des crises. On se faisait la guerre sur d'autres terrains (Corée, Vietnam, Proche-Orient, Afrique, Amérique latine...) pour ne pas se la faire directement. On savait où ne pas aller trop loin (exemple : la crise des missiles de Cuba en 1962). La fin de la guerre froide, avec la chute du mur de Berlin en 1989 et l'éclatement de l'Union soviétique, deux ans plus tard, a ouvert la voie à deux illusions : celle de la seule «hyperpuissance» des Etats-Unis, pour reprendre la formule d'Hubert Védrine, et même de la «fin de l'histoire» (Francis Fukuyama) ; celle de l'émergence d'un monde multipolaire dans lequel les Etats-Unis, l'Europe unifiée, et les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, et même Russie post-soviétique) composeraient la direction plus juste d'un nouvel équilibre planétaire. Un monde «zéro-polaire» Ces deux concepts se sont révélés inexacts ou éphémères, comme en a fait le constat Laurent Fabius, mardi, dans son discours de clôture de la Conférence des ambassadeurs de France à Paris. Il a parlé de monde «zéro-polaire» : «Le monde actuel, s'il n'est plus ni bipolaire ni unipolaire, n'est pas (encore) multipolaire : il est plutôt a-polaire ou zéro-polaire. Constitué d'acteurs nombreux, de taille et de nature diverse (étatiques et non étatiques), il se déploie en effet sans que l'un de ces acteurs ou une régulation par plusieurs d'entre eux assure une gouvernance mondiale efficace et incontestée. Impuissance collective Dans le cas de la Syrie, c'est manifeste. Depuis le début du soulèvement populaire et de la répression par le régime de Bachar Al-Assad, le Conseil de sécurité de l'ONU est paralysé par le double veto russe et chinois. Avec l'emploi d'armes chimiques, en violation de conventions internationales remontant au lendemain du premier conflit mondial, il n'y a plus personne aujourd'hui pour dire le droit international, et moins encore pour le faire respecter. Les Etats-Unis et la France parlent de «punir» Damas, mais si ces deux pays passent à l'acte malgré la défection britannique, ils le feront sans l'autorisation des Nations unies. Et ils le feront au nom d'une légitimité dont le débat aux Communes à Londres, qui a désavoué le premier ministre David Cameron, a montré qu'elle est de moins en moins acceptée par les opinions. Résultat : la paralysie, l'impuissance collective face à un crime contre l'humanité, une situation dangereuse au-delà du cas syrien. La naissance de la justice internationale avait été saluée il y a quelques années comme un signal fort donné aux candidats dictateurs ou bourreaux, après les horreurs de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda dans les années 90. De cette justice internationale, il n'a même pas été question dans les débats autour de l'arme chimique en Syrie, alors même que François Hollande parlait de «punir».