La rencontre coïncide avec l'enterrement d'une figure emblématique de la famille révolutionnaire. Le Moudjahid Aroussi Mohamed fut l'un des compagnons de Kaid Mohamed et Saim el Habib. Hadj Aroussi, alias le «Fellag», m'invite à dîner lors d'une visite de courtoisie de son fils Hebib (ingénieur à la retraite) habite à Sidi Bel-Abbès, devant cette créature humaine d'un turban et une gandoura en soie garde toujours sa sacoche des archives de la guerre de libération. Aroussi décroche son CEP en 1941 avant de rejoindre le groupe des nationalistes après la Seconde Guerre mondiale. Un nom dont nul n'a besoin de l'adresse ou du numéro du mobile. Le «fellag» a été condamné à mort par le colonialisme. Il purge cinq années de prison ferme, comme en témoignent les documents officiels signés par l'armée française. Durant les 60 mois d'emprisonnement, plusieurs tentatives d'évasion avec ses compagnons ont toutes échoué, ce qui a poussé le colonialisme à le transférer d'une prison à l'autre. Parmi les condamnés, figurent Mimouni Benahmed, connu pour sa sandwicherie de la rue Emir Abdelkader et actuellement en face Belkhodja « la routière '' Kacem Kaddour tombé au Champ d'honneur à Djaghbala (Maacem) à côté de son frère Mohamed (17 ans) et au-tres qui gardent toujours les cicatrices sur les différentes parties des corps de la torture francaise. Il garde toujours pour ses petits-enfants et arrière-petits-enfants ces enregistrements (témoignages) de leur arrière-grand-père effectués à son insu comme une leçon de patriotisme pour leur Algérie libre d'aujourd'hui. Résidant à la cité E.P.L.F. de Tiaret, épuisé et diminué sur le plan santé pour tout ce qu'il avait enduré, il passe les derniers moments de sa vie, se remémorant un passé révolutionnaire, puis professionnel digne des services rendus de la part de grands hommes de ce pays. L'homme au turban et en gandoura en soie n'a pas besoin de présenter un document administratif pour prouver sa qualité de Moudjahid. Son portrait a été imprimé avec la mention «Aroussi, le fellag condamné a mort», arrêté par l'armée française les armes à la main au début de l'année 1957. Hadj Mohamed Aroussi, 88 ans, encore en vie, mem-bre de l'OCFLN, incarcéré de 1957 à 1962, raconte son incarcération se traduisant au départ par 88 jours de torture sans relâche dans les bureaux des services secrets français et 45 jours d'interrogatoires continus dans les cellules du quartier militaire français de «la Redoute» sur las hauteurs de l'ancienne Tihert avant d'être ensuite transféré vers Oran puis vers Berrouaghia où il purgera au total les cinq années ferme de son emprisonnement isolé d'une cellule de deux m2. Il garde toujours en mémoire des souvenirs et des noms de nos valeureux martyrs, comme feu Kaidi Mohamed et feu Saim Lahbib, tous deux exécutés à l'intérieur même du quartier militaire, et feu Abdelwahid (nom de guerre donné à un ressortissant allemand, martyr de la Révolution ayant collaboré avec lui pour les attentats contre les édifices publics et militaires français à Tiaret), tombé lui aussi au Champ d'honneur aux frontières marocaines. Après l'indépendance, il est nommé chef du district des forestiers, à Tiaret, Mahdia et Aflou. La légende vivante des monts de Ghzoul par devoir de mémoire raconte et témoigne sur le colonialisme français à compter de 1840 pour élargir cette commémoration qui coïncide avec le 60e anniversaire du 1er Novembre 1954. Une indépendance bien consommée mais un avenir brisé pour le Mou-djahid Aroussi, qui perd sa femme à la fleur de l'âge (30 ans), née en 1933 et décédée quelques mois après le 5 juillet 1962. Une femme, une révolution et une histoire. De son vrai nom Oum El Djillali Khallaf, elle n'a pas eu cette chance de savourer les années de liberté d'après-indépendance puisqu'elle décéda suite à une maladie le samedi 2 novembre 1963, jour où tout Tiaret et ses environs exaltaient la joie de la fête du premier anniversaire du déclenchement de notre guerre de libération nationale. Cette courageuse femme qui affronta de 1957 à 1960 les soldats français qui n'arrêtaient pas de revenir harceler très souvent cette famille et ce, après même que son mari fut emprisonné, dans l'espoir de trouver armes, vêtements, argent ou autres effets destinés à leur acheminement vers les maquis de la région. A chaque passage de ces derniers vers ce qu'ils appelaient «Haouch el Fellagui», tout est chamboulé et mis sens dessus dessous... Elle veillait avec sa belle-mère Hadja Sadia et l'un de ses cousins Hadj Dahmane Boudia résident actuellement à Mohammadia, à l'évacuation des armes et grenades. Ces deux derniers se chargèrent pour aller la nuit les enterrer près du marabout de Sidi Khaled Malgré l'absence de son mari et ses deux frères tous emprisonnés, elle géra tant soit peu avec sa belle-mère Hadja les affaires de la famille du point de vue nourriture et scolarisation des enfants. Une fois l'indépendance acquise en 1962, elle cousut de sa main une cuissette, un maillot et un béret aux couleurs du drapeau algérien à son garçon et l'embarqua dans un camion avec les jeunes manifestants. Son rêve, sa joie et sa fierté étaient voir son mari libéré et de réaliser que dans la rue, les moudjahidine descendus du maquis marquaient de leur présence la libération du pays, la vraie indépendance, la sécurité des citoyens. Elle a eu l'honneur même de préparer le manger à une trentaine de moudjahidine descendus des maquis, conviés par les frères Aroussi à un déjeuner. Habitant tous ensemble un 2 pièces-cuisine à titre de location dans un «haouch», elle n'hésita pas à permettre à son mari et ses deux frères de léguer l'une des deux pièces à un ami, un certain Abdelkader Lalmi, père de famille, qui était dans le besoin. Aujourd'hui elle repose au Carré des martyrs, à côté des benjamines de la Révolution. Une joie et une fierté de laisser derrière eux une Algérie libre et indépendante.