Retentissement. La création du journal « El Moudjahid » en pleine guerre d'Algérie se voulait une tribune à la cause nationale. La « voix » du maquis à l'endroit du peuple et contre la vision et la politique de la France coloniale. Car, dans tout mouvement de libération, les armes et la diplomatie ne suffisent, souvent, pas à réaliser l'objectif quand cette révolte n'est pas portée par l'information, fut-elle propagandiste, pourvu qu'elle aboutisse. La France coloniale n'avait-elle pas d'ailleurs abusé de l'outil « information » pour « dénationaliser » l'Algérie. Dès lors, un journal de combat s'imposait et ne pouvait naître qu'au maquis. « En s'intitulant El Moudjahid, cette brochure ne fait que consacrer ce nom glorieux que le bon sens de notre peuple a, dès le 1er Novembre 1954, attribué aux patriotes qui ont pris les armes pour une Algérie libre, il prend place pour être l'œil, l'oreille et la voix, l'informateur objectif de l'opinion, le point de rencontre du maquis et du peuple » écrivait en préambule Abane Ramdane. Et ce sera son épouse qui tapera à la machine les 36 feuillets qui seront ronéotypés et tirés à Kouba (la scierie de Benouniche). La direction sera confiée à Mohamed Temmam. Le journalisme patriote tire ses premières plumes. Et on ne pouvait se permettre, en pleine guerre de libération, réclamer la liberté d'information ou d'opinion pour des rédacteurs d'un journal clandestin fondé spécialement pour booster la révolution. Mais cette guerre était noble, juste, surtout irréversible. A partir de juin 1957, la guerre d'Algérie n'était plus un conflit armé de décolonisation mais devenait aussi une guerre de l'écrit. Une insurrection de l'esprit. il suffisait de voir le nombre de publications (journaux, manifestes, pamphlets et autres livres, essais...) dont les contenus se rapportaient exclusivement à cette révolution. Depuis, El Moudjahid sera le journal du patriote. Celui de l'engagement. De la conviction. Le porte-parole d'un peuple en quête de sa liberté. Totale ! Et si l'engagement armé était un défi contre le colonisateur, la création du journal constituait un acte de suprême provocation contre l'ennemi. L'information, une arme redoutable à multiples impacts, particulièrement le retentissement de la révolution à l'échelle internationale. Six numéros d'El Moudjahid paraîtront clandestinement, de juin 1956 à janvier 1957, à Alger. Le numéro 7, à la veille de la grève des Huit jours (janvier-février 1957) sera saisi et les moyens d'impression détruits par les paras de l'armée française. Les contenus des six premiers numéros avaient dérouté l'armée française et déstabilisé le gouvernement colonial. Le fusil et la plume étaient complémentaires. La restructuration de la Révolution était intervenue lors du congrès de la Soummam où d'autres formes de lutte et de mobilisation se mettaient en place, à l'exemple de l'équipe de football du FLN qui avait ébranlé le gouvernement français. Le journal de combat renaîtra à Tétouan, le 5 août 1957, sous le numéro huit, avant de passer à Tunis à partir du n°11, daté du 1er novembre 1957. El Moudjahid se voulait un instrument imparable de riposte aux campagnes de désinformation, de manipulations, de combat de la propagande subversive de la France coloniale destinée à isoler les moudjahidine ou pourfendre l'élan imprimé à la lutte libératrice. On pouvait lire de très importants articles (infos, analyses, commentaires de prospectives, démentis avec preuves contre papiers-mensongers de la presse coloniale). Des articles non signés « Bulletin de naissance », « Démoralisation de l'ennemi », « Un mirage, le Sahara français », « Les dix commandements de l'ALN », des portraits sur les chefs-martyrs « Ben M'hidi, Zighout, Ben Boulaïd »... Les responsables de la révolution algérienne s'impliquaient aussi en publiant des articles et éditos. Abane Ramdane, principal concepteur de la création du journal, signa un article porteur et révélateur qui avait paniqué le gouvernement français, sous le titre : « Un nouveau chapitre de la révolution s'ouvre ». Larbi Ben M'hidi, rédigea « Objectifs fondamentaux de notre révolution ». Krim Belkacem « Le Vrai visage de la pacification », mettant à nu la politique de la colonisation. D'autres historiques, Bentobal, Boussouf, Dehilès, Saâd Dahleb et bien sûr le directeur du journal, Rédha Malek, se relayaient par leurs écrits attendus et appréciés par le peuple, témoigne le défunt moudjahid Pierre Chaulet, lui-même rédacteur à El Moudjahid, entre 1956 et 1962. Des textes « frappés » par Nassima Hablal et Izza Bouzekri. « La France nous a combattus avec un armement lourd et des plumes propagandistes, nous l'avions combattue avec nos « petites armes » et nos moyens de sensibilisation, la communication et le journal El Moudjahid, particulièrement avec l'engagement des lycéens et étudiants dans la guerre de libération à partir du 19 mai 1956 », nous confia Ali Haroun, lui aussi ancien responsable d'El Moudjahid à Tunis. « Si ce n'était la plume, l'indépendance n'aurait pas été possible », avait-il insisté devant quelques journalistes lors d'une rencontre à son bureau du temps de Boudiaf, qui lui avait confié le ministère délégué aux Droits de l'homme (1992). Ali Haroun avait auparavant été chargé par Boudiaf (en 1955-1956) de lancer le journal Résistance algérienne à Tétouan (Maroc). Le titre El Moudjahid, suggéré à l'époque par Benyoucef Benkhedda, n'avait pas gagné l'aval de Abane Ramdane qui avait estimé (selon Saâd Dahleb que nous avions rencontré en 1995 à Blida) que cette appellation avait une connotation de djihad de guerre sainte mais, l'homme du congrès de la Soummam, finit par être séduit par le « logo » qu'il s'efforça de justifier dans le numéro de lancement, sous forme d'édito ou de lettre de l'éditeur, « d'aucuns s'étonneront, sans doute, du choix du titre qu'ils pourraient croire inspiré par un quelconque sectarisme politique ou par un quelconque rigorisme religieux, alors que notre but est de nous libérer d'un carcan colonialiste dénationalisant. De juin 1956 au 19 mars 1962, El Moudjahid sera au front comme le furent les soldats et les citoyens algériens. Cent vingt numéros avaient été publiés, dont 116 ont été retrouvés où l'on pouvait lire 200 articles, commentaires, éditos, 150 reportages et une cinquantaine d'interviews et 150 dossiers dont des rapports. Le journal, à la proclamation du Gouvernement provisoire en 1958, sera sous tutelle du ministère de l'Information dirigé par M'hamed Yazid, un nostalgique de la rédaction où il venait très souvent (1990-1998) rendre visite à la nouvelle génération de journalistes. « Faites comme nous, soyez crédibles quelles qu'en soient les circonstances », aimait-il à « placer » avant son souriant au-revoir.