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Le dumping
Publié dans La Nouvelle République le 10 - 12 - 2014

La dégringolade que connaissent les prix du pétrole gratifierait les pays dépendants de cette indispensable énergie pour leurs économies, tout en pénalisant par un manque à gagner les pays exportateurs. Les pertes pour l'Algérie seraient de 5,2 millions de dollars par jour, pour une production de 1,3 million de baril extraits journellement.
Les pays exportateurs ne seront pas les seuls perdants, les compagnies pétrolières vont également laisser en rade des milliards de dollars de manque à gagner. Jusque là, c'est l'essor fabuleux de la Chine qui a contribué à maintenir les prix à des niveaux jamais égalés. Depuis la crise des subprimes de 2007, presque l'ensemble des économies les plus robustes de la planète ont été affectés par une faible croissance, autrement par de douloureuses récessions. L'Amérique s'est lancée dans la production du pétrole, et du gaz de schiste, en dépit d'une rentabilité que les experts jugent légère par rapport aux investissements très élevés et soutenus sur le long terme. Les Etats-Unis importent moins. L'Opep consciente du danger que représenterait des exportations à bas coûts du pétrole et du gaz de schiste à moins de 100 dollars, (le gaz étant indexé sur les prix du pétrole), a refusé de baisser sa production pour mettre en difficulté les investisseurs qui se sont lancés dans l'exploitation du gaz de schiste, qui n'est pas rentable au-delà d'une année d'exploitation, puisqu'il est nécessaire de procéder sans cesse à de nouveaux et de multiples forages souvent forts coûteux contre une rentabilité aléatoire. Selon les déclarations faites à Radio M, le 9 novembre dernier, Omar Aktouf, professeur titulaire en management à HEC Montréal, les investissements réalisés dans l'exploitation du gaz de schiste «seront la prochaine bulle financière américaine». Selon cet expert : «Le modèle nord-américain est un effet d'annonce, il ne marche pas aussi bien qu'on le dit. Le gaz de schiste est rentable à très court terme. Pendant les quelques premiers mois, un puits de gaz de schiste peut payer les investissements et générer quelques profits, mais au bout d'un an, le taux de récupération d'un puits de gaz schiste perd jusqu'à 90 %. Il faudrait alors creuser un autre puits. Or creuser un puits de gaz de schiste tous les ans, c'est énorme. Les grandes firmes multinationales Exxon, Haliburton, ou GSP Energy creusent environ 1 000 puits par an, ce qui coûte entre 12 et 15 milliards de dollars. Si on multiplie ce chiffre par l'ensemble des exploitations aux Etats-Unis, on va obtenir l'équivalent de ce que l'on a dépensé pour sauver la planète de la crise de 2008. Omar Aktouf pense que l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels, si «elle produit un effet d'annonce spectaculaire sur le court terme», cette pratique est : «d'ailleurs inscrite dans leur stratégie des Etats-Unis qui consistait à aller très vite dans la production... En effet, lorsque nous lisons les revues spécialisées en pétrole, à l'instar de «Petroleum Review» ou «Nature», on déduit que cette industrie accélérée n'est, en réalité, qu'une bulle financière et spéculative, un effet d'annonce pour dire au monde entier qu'on a le gaz de schiste, et cela nous permettra de récupérer 3, 4, et même 5% d'huile, chose, qui permettra d'équilibrer les pertes de gaz de schiste qui viennent du mode d'exploitation, de production, et de l'acheminement de ce gaz non conventionnel. Des processus de production qui sont infiniment plus chers que ceux du conventionnel.» Poursuivant ses révélations, le professeur soutiendra à la question de Radio M «que le gaz de schiste est une supercherie soutenue par des subventions». Omar Akrouf répondra que : «Le modèle économique du non-conventionnel tient par des crédits d'impôts. Les entreprises qui se sont lancées dedans (Les américaines Haliburton, Exxon, et les européennes Royal Dutch Shell, GB Energy, etc.) disent qu'elles sont dans le rouge, et qu'elles sont obligées de fonctionner sur crédits d'impôts: des subventions, et sur un effet d'annonce, à court terme. Ils ont pu mettre sur le marché des quantités de gaz supplémentaires qui ont suffi pour faire baisser le prix du charbon et, par conséquent, le prix de l'électricité qu'on produit encore avec beaucoup de charbon aux Etats-Unis. Cela a restauré une compétitivité de court terme et permis de gagner la paix sociale dans un contexte de crise. Soutenant que la production du gaz de schiste est un non sens du point de vue économique, par un «Tout à fait» sans ambages, le professeur affirmera «qu'il est totalement différent de creuser un puits conventionnel et un autre dans le schiste. Dans le conventionnel, on creuse un puits de manière verticale, dans le non- conventionnel, on creuse un puits verticalement, puis horizontalement, sur un ou deux km minimum, de façon beaucoup plus profonde. Pour le conventionnel, on creuse à 2 000 à 3 000 mètres de profondeur, tandis que pour le non-conventionnel, il faudrait aller de 3 000 à 10 000 mètres pour, soi-disant, ne pas contaminer la nappe phréatique, qui finira par être contaminée. Quand on creuse à l'horizontal après avoir creusé à la verticale, on produit beaucoup plus de coups sur les roches que dans les puits conventionnels. En plus, il faudrait injecter de l'eau à très haute pression, entre 500 et 900 produits chimiques différents dont on ignore les entités (toxiques, meurtriers, cancérigènes). En Pennsylvanie par exemple, on a assisté à la perte de la couverture végétale et du bétail. L'eau courante est devenue toxique. En Arkansas, la nappe phréatique a été contaminée. Il faudrait rajouter à cela les effets de sismicité induite, provoqués par la fracturation des roches : une petite explosion dans le tuyau horizontal chaque 10, 20, 15 cm, rend la roche plus perméable et provoque des effets sismiques sur toutes les roches environnements. Cela s'étend sur des centaines de mètres, voire des kilomètres, ce qui fait que les roches qui étaient imperméables deviennent perméables. C'est ainsi qu'on a pu observer en Arkansas, par exemple, des tremblements de terre 4 à 5 sur l'échelle Richter. De ces effets sismiques s'échappe le gaz méthane des roches poreuses. Ce gaz méthane, comme on le sait, est 10 fois plus producteur d'effet de serre que le carbone.» Les Américains poussent pour l'ouverture de nouveaux marchés pour vendre leurs technologies d'extraction du gaz de schiste, une technologie dont ils détiennent le monopole. Après un succès que les experts jugent éphémère, la question pour Omar Akrouf, «maintenant, serait de savoir, (à propos du gaz de schiste) jusqu'à quand on va continuer à le soutenir. C'est une des stratégies qu'on leur prête. Les Etats-Unis attendent l'ouverture d'autres marchés du gaz de schiste dans le monde pour les subventionner, car ils ont la maîtrise et la technologie. Tout autre pays qui aura envie de se lancer dans l'industrie du schiste aura besoin du savoir-faire américain en priorité, et les Etats-unis pensent subventionner la technologie des marchés du schiste. Cette technologie exige des coûts faramineux. Pour le jet de l'eau par exemple, il faudrait entre 10 et 20 mille litres pour creuser un puits de schiste contrairement à un puits conventionnel. C'est énorme ! Une personne consomme 1 mètre cube d'eau en moyenne dans les pays développés. 20 milles mètres cubes, représente donc l'équivalent de la consommation de 20.000 personnes ! En Algérie, cette quantité d'eau représentera l'équivalent de la consommation de 100.000 personnes. Où est-ce qu'on veut aller chercher toute cette eau ? Surtout s'il faut aller creuser un puits supplémentaire tous les ans.» A propos des intentions des autorités algériennes de se lancer dans la production du gaz de schiste, à la question de Radio M «Qu'est-ce que vous pensez en écoutant le ministre de l'Energie dire que le gaz de schiste sera l'alternative pouvant permettre de rallonger la durée de vie des réserves énergétiques algériennes ? Dans l'état actuel des choses, c'est un pari fou, dangereux. Et je dirais même à la limite criminel. Akrouf soutient dans cet entretien que le modèle nord américain de production de gaz de schiste «qu'il s'est déjà écroulé. Il est déjà en faillite. Il y a quelques mois, le patron d'Exxon était devant une commission sénatoriale ; il pleurait et disait : «Nous sommes dans le rouge, on est fini». Il a même utilisé l'expression, «On a bouffé nos chemises». Si Exxon dit en avoir bouffé sa chemise avec le gaz de schiste, que ferions-nous alors ? Le dumping imposé aux prix réels que devraient afficher le prix du baril du pétrole vient également d'une perturbation, autrement dit, d'une spéculation que connaît ces derniers temps le marché des hydrocarbures. Un marché parallèle s'est imposé aux places classiques où activent les traders pour fixer les cours de l'or noir. Une partie du pétrole irakien est vendu au noir par les «djihadistes de l'Etat islamique» à des prix cassés, une autre partie est bradée par les milices en Libye, d'autres livraisons se feraient en catimini à partir de pays en difficulté de trésorerie. Toutes ces péripéties ne seraient qu'éphémères, car les prévisions d'un redécollage des prix à un peu plus de cent dollars, ne sauraient trop tarder, il suffirait juste de laisser passer la tempête.

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