L'Algérie a annoncé le lancement des premières opérations d'exploration de gaz de schiste pour début 2012. Cette annonce intervient au moment où la polémique enfle dans plusieurs pays, notamment en France, au Canada et aux Etats-Unis où les retombées écologiques sont dénoncées par les défenseurs de l'environnement.Le premier à avoir dévoilé les ambitions de l'Algérie en la matière n'est autre que le ministre de l'Energie et des Mines, Youcef Yousfi, qui avait révélé le mois de mars dernier au Cera Week 2011 (Cambridge Energy Research Associates), à Houston (USA) l'intention du pays d'exploiter cette ressource naturelle. «Nous sommes intéressés par l'exploitation des réserves de gaz non conventionnels. Nous sommes en train de préparer un programme pilote. Nous sommes en train de choisir une région où toutes les conditions sont réunies. Le programme sera réalisé par la société nationale Sonatrach et un partenaire étranger», avait-il souligné. L'ancien PDG de Sonatrach, Nordine Cherouati, a été plus précis en annonçant fin septembre les explorations expérimentales pour le début de l'année prochaine. «Les explorations pilotes de gaz de schiste seront lancées début 2012 dans la région sud-ouest du pays», avait indiqué M. Cherouati à partir d'Oran. La veille de son limogeage, il avait même confié que des grands leaders étrangers du secteur de l'énergie tels que Total, Shell, Talisman, Halliburton, Schlumberger, à l'instar de l'italien ENI avec lequel Sonatrach avait signé un accord de coopération dans le domaine, étaient intéressés par les réserves de gaz non conventionnel algériennes. Les pionniers américains Les Américains ont été les premiers à découvrir le gaz de schiste il y a deux siècles. «Le gaz de schiste est connu depuis le XIXe siècle aux Etats-Unis. Le premier puits de gaz aux Etats-Unis, d'une profondeur de 8 mètres, a été foré et mis en production en 1821 à Fredonia, dans l'Etat de New York. La Fredonia Light Company, fondée en 1858 pour exploiter ce gaz naturel, fut la première entreprise de gaz naturel des Etats-Unis, et peut-être même du monde entier ! Au début du XXe siècle, ce gaz de schiste du Dévonien constituait le plus grand champ gazier au monde. Mais la production fut abandonnée dès qu'on trouva du gaz plus facile à exploiter (gaz naturel conventionnel)», note Nasser Rarrbo, ancien cadre supérieur à Sonatrach qui a son actif plusieurs contributions sur le sujet. L'abandon de cette richesse naturelle n'était que provisoire, selon lui. Il aura donc suffi d'une baisse de la production du gaz conventionnel et des avancées technologiques remarquables pour que le gaz de schiste soit de nouveau sous les feux de la rampe. «A la fin de la décennie 1990 (…) deux ruptures technologiques en termes de forage sont à l'origine de ce nouvel engouement dans la production de gaz naturel : le ‘guidage horizontal', qui permet de maximiser la surface de forage et donc d'améliorer les rendements, et la ‘fracturation hydraulique' qui consistent à casser les couches profondes de schistes par injection d'un mélange d'eau, de sable et de composants chimiques, qui permet d'accéder à des surfaces profondes et peu perméables. La recherche y avait débuté il y a vingt ans. C'est la maturation technique des savoir-faire, combinée à des incitations fiscales, qui a permis ce développement», ajoute cet expert. L'essor de cette industrie au pays de l'Oncle Sam qui va bientôt passer au statut d'exportateur a incité de nombreux pays à envisager d'explorer leurs propres réserves. Ruée vers… le gaz de schiste «Ce formidable développement a entraîné, bien sûr, la convoitise des majors, et de nombreuses fusions-acquisitions d'un montant estimé à plus de 58 milliards de US $ ont eu lieu entre 2008 et 2010.Au-delà des traditionnelles fusions-acquisitions, il est intéressant de noter la création de joint-ventures par ces majors, qui n'avaient aucune expérience dans ce type de réservoir, avec de petites sociétés pionnières dans cette nouvelle technologie qui a entraîné le boom des gaz de schiste. En plus de l'accès aux ressources, ces accords sont aussi motivés par l'acquisition par ces majors, de l'expertise technique de l'exploration et de la production des gaz non conventionnels, notamment le forage horizontal et la fracturation hydraulique, afin de l'utiliser ailleurs dans le monde, notamment en Europe», explique M. Rarrbo. Exxon Mobil a déboursé pas moins de 41 milliards de dollars en 2008 pour le rachat de XTO, une entreprise spécialisée dans l'exploitation des gaz de schiste, fera-t-il savoir. Cette acquisition a eu un effet boule de neige et d'autres majors n'ont pas tardé à faire de même. Il en est ainsi de Total et BP en passant par Shell, et ENI qui ont fait main basse sur des PME qui exploitent les gaz de schiste, poursuit notre interlocuteur. Pour étayer ses dires, il rappellera qu'«en 2008, Shell a acquis les Tight Gas de Duvernay au Canada, pour 5,8 milliards de dollars, BP s'est placé dans l'Arkansas et l'Oklahoma pour 3,4 M US$, Statoil Hydro l'a suivi avec 3,3 M US$. Shell a aussi pris des positions importantes à Haynesville, en Louisiane, en partenariat avec Encana. En mai, ENI s'est associée à Quicksilver Resources pour développer des gaz de schiste au Texas. Enfin, en juillet, BG group a augmenté ses réserves en prenant des parts de 50% pour 3M US$ dans Exco Resources dans des champs gaziers non conventionnels au Texas et en Louisiane. Ainsi, la réaction des majors a été très rapide. Elles ont appliqué à la lettre la devise : «If you can't beat them, join them» (si vous ne pouvez pas les battre, joignez-vous à eux) ». Un gouffre hydraulique ? Le développement de cette industrie ne s'est pas fait sans couacs. Des voix s'élèvent de plus en plus pour dénoncer ce qu'il estime être une véritable menace écologique. Les verts notamment déplorent l'utilisation importante des ressources en eau pour l'extraction de ce gaz et la pollution occasionnée aux nappes phréatiques. Certains incidents confortent les inquiétudes exprimées par ces voix discordantes. Le 5 mai 2004, en Pennsylvanie (Etats-Unis), une explosion est survenue dans une habitation, dans laquelle le propriétaire, en ouvrant un robinet d'eau en présence d'une flamme, a entraîné la destruction de sa maison et le décès de trois résidents. «Pour soutirer ce gaz, la seule solution est de descendre jusqu'à la roche mère et de la casser (fracturer) en utilisant une technique dite de fracturation hydraulique pour permettre à ce gaz de s'échapper vers le haut. Cette opération se fait avec de l'eau très chaude mélangée à du sable qui permettra aux fractures de rester ouvertes et surtout à très haute pression. Il faut des compresseurs puissants et 10 000 à 15 000 m3 d'eau par forage. Cette quantité est difficilement disponible, car la plupart des gisements dans le monde sont situés à proximité des centres urbains. Pour bien pénétrer la roche, les forages verticaux sont couplés à d'autres, horizontaux. Ce maillage dégrade le paysage. L'écart de pression entre la tête et la couche est tellement important qu'une petite fissure dans le ciment de l'espace annulaire du puits peut permettre à coup sûr à ces gaz d'y s'échapper pour contaminer les nappes phréatiques », observe Rabah Reghis, consultant et économiste pétrolier spécialisé dans l'amont de la chaîne pétrolière, qui s'interroge sur l'utilité pour l'Algérie d'investir dans une industrie dont on ne maîtrise pas encore les techniques et qui plus est consomme des quantités astronomiques d'eau, une denrée rare dans le pays. Nasser Rarrbo préfère de son côté minimiser cette menace. «Le principal problème est la contamination des nappes phréatiques principalement par du gaz naturel et à un degré moindre par quelques produits chimiques. Or, les nappes phréatiques se situent à une profondeur de 100 à 200 mètres de la surface, et les gisements de gaz de schiste se situent à des profondeurs de 1000 à 3000 voire 4000 mètres. Et c'est à ces profondeurs que se réalise la fracturation. De plus, lors du forage, le puits doit être cimenté surtout sur les 200 premiers mètres, pour éviter tout contact avec la nappe phréatique. Ainsi, si la nappe phréatique a été contaminée, c'est que les tubes et la cimentation des parois du puits ont été mal faits. Pourtant, il existe des méthodes de vérification notamment par la diagraphie du puits», souligne-t-il. Avant d'enchaîner : «De mon point de vue, un encadrement et une efficace réglementation technique en la matière, ainsi que la communication de la composition des fluides de forages par les acteurs de l'industrie, constituent des conditions préalables à une exploitation qui respecte l'environnement et la sécurité. Il peut y avoir une exploitation propre de ce type de gisements.»