Au préalable, je tiens à remercier la fondation allemande Hanns Seidel et l'Institut international d'audit et de développement (REMA)–Maroc de cette aimable invitation lors d'une rencontre internationale qui s'est tenue les 27/28 février 2015 à Rabat sur le thème «Diplomatie économique : quelle gouvernance en période de crise et d'instabilité». C'est par la bonne gouvernance et la valorisation de l'économie de la connaissance, fondements de la dynamisation de l'entreprise productive y compris les services marchands dans le cadre des valeurs internationales, que l'on fera avancer positivement toute société conciliant l'efficacité économique et une très profonde justice sociale à laquelle je suis profondément attaché. Méditons ces deux proverbes chinois : «Il vaut mieux paraître sot pendant une seconde en posant une question que rester sot toute sa vie en évitant de la poser» et «quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt». Les enjeux de l'avenir du Maghreb sont à la fois économiques et intiment liés à la crise mondiale actuelle qui devrait conduire à de profondes reconfigurations socio-économiques, technologiques mais également sécuritaires. I.-Pourquoi je suis un défenseur de la construction du grand Maghreb sous segment de l'Afrique 1.-L'idée remonte à très loin, lors de l'élaboration de ma thèse de doctorat d'Etat en sciences économiques soutenue en 1974. Mais le déclic a été ma conférence au siège de l'Unesco à Paris en 1992 où, à l'invitation de Pierre Moussa, grand ami de l'Afrique qui avait initié une rencontre internationale présidée par l'ex-président de l'Afrique du Sud, Thabo Mbeki en présence de nombreux amis maghrébins notamment marocains et tunisiens, sous le thème «l'Europe et l'Afrique». Je suis intervenu à l'époque sur le thème «L'Afrique et les enjeux de la stratégie euro-méditerranéenne». Plus récemment, j'ai réalisé une étude pour l'Institut français des relations internationales sur le thème «le Maghreb, face à la stratégie euro-méditerranéenne»( novembre 2011) et en décembre 2013 « La sphère informelle au Maghreb face aux enjeux géostratégiques (IFRI, Paris, France, 8e think tank mondial. J'ai été alors contacté par Camille Sari, enseignant à la Sorbonne, expert financier, chroniqueur à France 24 et Africa24, ainsi que par de nombreux amis européens et maghrébins pour réaliser une réflexion commune sur ce thème qui a abouti à la parution de deux ouvrages sous ma direction et celle du docteur Camille Sari, regroupant 36 experts algériens-marocains-tunisiens-mauritaniens, libyens et 10 experts internationaux européens de différents horizons (politologues, juristes-économistes-sociologues et experts militaires) « le Maghreb face aux enjeux géostratégiques » (1). Ces deux ouvrages viennent d'être réédités aux Editions L'Harmattan, à Paris (octobre 2014), pour leur donner une dimension internationale. 2.-C'est que la situation des économies maghrébines nous interpelle. Le Maghreb se situe à l'ouest de l'Afrique du Nord, délimité au nord par la Méditerranée et au sud par le Sahara. Sa superficie totale est de 5,8 millions km2, représentant 4,3 % de la superficie mondiale et dépassant de près de 80% la superficie de l'Union européenne. Durant les cinquante dernières années, la population des pays du Maghreb a augmenté en moyenne de 3,2 % par an, passant de moins de 30 millions en 1960 à 60 millions en 1989, et environ 90 millions en 2010. Les prévisions des Nations unies l'estiment à 150 millions d'habitants à l'horizon 2050. Le 17 février 2014, l'Union du Maghreb arabe (UMA) a fêté son 25e anniversaire. Elle a été fondée le 17 février 1989 à Marrakech, et bien que les responsables des cinq pays membres (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie) continuent de se rencontrer périodiquement, elle ne cesse, depuis lors, de faire du surplace, loin des aspirations des peuples et des potentialités, marginalisant de plus en plus la région au sein de l'économie mondiale. Les peuples paient l'incapacité des élites à concevoir un projet commun. Alors que le monde connaît des bouleversements sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (1945), le Maghreb reste aux abonnés absents. Environ 60% des échanges des pays maghrébins se font avec l'Europe. L'Algérie abrite 38,7 millions d'habitants pour un produit intérieur brut (PIB), en 2013, de 215 milliards de dollars à prix courants. Selon l'OCDE, la dette extérieure de l'Algérie s'élèverait à environ 2,4% de son PIB (contre une moyenne de 23% pour la région MENA) et la dette publique algérienne est de moins de 9% du PIB. Le Maroc a une population de 32,9 millions d'habitants pour un PIB à prix courants de 105 milliards de dollars. La dette extérieure publique du Maroc se situe, en 2013, à 26,5% du PIB contre 25,7% en 2012, selon la Direction du trésor et de finances extérieures (DTFE), qui relève du ministère de l'Economie et des Finances. La Tunisie a une population de 10,8 millions d'habitants pour un PIB à prix courants de 49,78 milliards de dollars. Si l'on inclut les services, la dette extérieure représente en 2013 environ 52,26% du produit intérieur brut. La Mauritanie a 3,72 millions d'habitants pour un PIB de 4,18 milliards de dollars. Si l'on inclut les services, la dette représente en 2013 environ 87,7% du PIB. La Libye a environ 6,2 millions d'habitants pour un PIB – il existe des donnes contradictoires – de 59 milliards de dollars en 2012, 70 milliards en 2013, selon le Trésor français pour des importations de 27 milliards de dollars en 2013. Entre 2010 et 2012, la dette extérieure était presque nulle, la Libye avant les événements ayant investi plus dans diverses activités à travers son fonds souverain, certains avancent que plus de 60 milliards de dollars ont été perdus pour l'Etat libyen du fait de comptes personnalisés. Le PIB maghrébin total à prix courants était de 444 milliards de dollars en 2013 pour une population approchant les 93 millions d'habitants. Le PIB mondial est estimé à 73 800 milliards de dollars en 2013. Cela représente 0,60% du PIB mondial, en régression en référence aux années 1980. Le PIB des Etats-Unis (320 millions d'habitants) est 16 724 milliards de dollars, alors que celui de l'Union européenne est de plus de 17 000 milliards pour 500 millions d'habitants ; le Maghreb, par rapport à ces deux espaces, représentait respectivement en 2013 un pourcentage de 2,65% et 2,60%. Le Maghreb représente 16,20% du PIB de la France (2 739 milliards de dollars) qui a une population de 65 millions d'habitants, 11,84% du PIB allemand (3 593 milliards de dollars) pour une population de 80 millions d'habitants, 8,9% du PIB du Japon (5 007 milliards de dollars) pour une population de 128 millions d'habitants, et 35% du PIB de la Corée du Sud (1 198 milliards de dollars) pour une population de 49 millions d'habitants (presque la moitié du Maghreb). Un petit pays comme la Belgique a un PIB de 370 milliards de dollars pour une population de 11,11 millions d'habitants, tandis que la Grèce qui compte 11 millions d'habitants (10% de la population maghrébine) a un PIB de 241 milliards de dollars, en 2013, malgré la crise. 3.-Mais les économies maghrébines sont dominées par la sphère informelle qui dépasse 50% de la superficie économique. Selon un document du ministère du Commerce algérien en date de février 2013, il existerait 12 000 sociétés-écrans avec une transaction qui avoisinerait 51 milliards d'euros, soit 66 milliards de dollars, plus de quatre fois le chiffre d'affaires de toutes les grandes entreprises privées algériennes. En Tunisie, le secteur informel était estimé en 2010 à environ 38% du PIB et 53,5% de la main-d'œuvre. Hernando De Soto note pour ce pays, qu'en 2012, 524 000 entreprises sur un total de 616 000 sont extra-légales (85%), avec des actifs équivalant à un montant de 22 milliards de dollars. Pour la Mauritanie, pour 2012, concernant la sphère informelle, elle représenterait plus de 60% de la population active dans les centres urbains et plus de 70% en zone rurale avec la prédominance des emplois de fonctionnaires au niveau de la capitale. Pour 2012, la Libye, dont la guerre civile a fortement affecté l'économie, nous aurions 6,155 millions d'habitants pour une population active de 2 300 237 d'habitants, selon la Banque mondiale, d'autres sources indiquant entre 6,4 et 6,8 millions d'habitants fortement concentrés dans trois principales villes : Tripoli, Benghazi et Al-Bayda, où les enquêtes sur la sphère informelle sont inexistantes. Cette sphère se développe depuis la chute du régime de Kadhafi, expliquant en partie les tensions au Sahel (trafic d'armes, de drogue...). Au Maghreb, la sphère informelle dépasse 50% de la superficie économique, servant, certes, à court terme de tampon social, mais décourageant les véritables entrepreneurs créateurs de richesses. Ainsi, le Maghreb connaît une marginalisation croissante au sein de l'économie mondiale. La non-intégration lui fait perdre plusieurs points de croissance, ce qui ne peut qu'accentuer les tensions sociales au niveau de cette région stratégique. Selon le rapport de la Banque mondiale, il perd deux à trois points de taux de croissance par an, sans compter les effets indirects du fait de la non-intégration. Le risque est une désintégration économique et sociale si le PIB n'est pas multiplié au moins par trois, à l'horizon 2020, avec le risque d'une déstabilisation de toute la région sahélo-saharienne. II.- Le Maghreb face à la problématique de la sécurité au Sahel et en Méditerranée 1.-Privilégiant en premier lieu ses intérêts stratégiques, partie prenante du dialogue méditerranéen (DM), le Maghreb se doit d'agir en fonction d'un certain nombre de principes et à partir d'une volonté avérée de contribuer à la promotion de la sécurité et de stabilité dans la région que ce soit dans le cadre d'une coopération avec l'Otan, en fait avec les USA, ou avec les structures de défense que l'Union Européenne entend mettre en place, également avec la Russie et la Chine pour ne citer que les principaux acteurs mondiaux. Les derniers évènements au Sahel, faute d'une coordination, montrent son incapacité à agir sur des évènements majeurs. La fin de la guerre froide marquée par l'effondrement du bloc soviétique et les attentats survenus aux Etats-Unis le 11 septembre 2001 représente un tournant capital dans l'histoire contemporaine. Le premier évènement marque la fin d'un monde né un demi siècle plutôt et la dislocation d'une architecture internationale qui s'est traduite des décennies durant par les divisions, les déchirements et les guerres que nous savons. Aujourd'hui, les menaces sur la sécurité ont pour nom terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, crises régionales et délitement de certains Etats. Or, les défis collectifs, anciens ou nouveaux, sont une autre source de menace : ils concernent les ressources hydriques, la pauvreté, les épidémies, l'environnement. Ils sont d'ordre local, régional et global. Entre la lointaine et très présente Amérique et la proche et bien lointaine Europe, entre une stratégie globale et hégémonique, qui possède tous les moyens de sa mise en œuvre et de sa projection, et une stratégie à vocation globale qui se construit laborieusement et qui peine à s'autonomiser et à se projeter dans son environnement géopolitique immédiat, quelle attitude adopter et quels choix faire pour le Maghreb ? Interpellée et sollicitée, le Maghreb s'interroge légitimement sur le rôle, la place ou l'intérêt que telle option ou tel cadre lui réserve ou lui offre, qu'il s'agisse du dialogue méditerranéen de l'Otan ou du partenariat euro-méditerranéen, dans sa dimension tant économique que sécuritaire. L'adaptation étant la clef de la survie et le pragmatisme un outil éminemment moderne de gestion des relations avec autrui, le Maghreb devant faire que celui que commandent la raison et ses intérêts. (Suivra)