Mostefa Haddad a laissé un excellent ouvrage de recherches en histoire : «L'émergence de l'Algérie moderne». Mostefa Haddad nous a quittés le 1er 2013, au 60e anniversaire du déclenchement de la lutte armée pour l'indépendance, des suites d'une tumeur aiguë au cerveau. Mostefa Haddad, un descendant des ouled Soltane de N'gaous, avait peiné durant un quart de siècle pour se construire une personnalité savante, universitaire et de rang magistral. Ce docteur en histoire, ancien enseignant à l'université Mentouri de Constantine, avant de se faire muter à l'université Hadj Lakhdar de Batna, a donc été pris de court par la maladie pernicieuse et fatale. En fait, il avait trop d'ambitions pour une vie aussi courte, donc beaucoup de projets de recherches et de publications. Son rêve le plus cher qu'il n'a cessé de caresser depuis son adolescence, fut de doter la région des Aurès – orpheline d'une élite depuis la nuit des temps – d'un musée digne de la grandeur du terroir de la Kahina et de Mostefa Benboulaid. Un musée d'histoire et d'anthropologie comparable au moins au centre de recherches en sciences sociales d'Oran où le mérite revient à ses créateurs et à ses animateurs méthodologiques et rigoureux. Une telle réalisation, si elle venait à se réaliser à titre posthume, aurait le mérite de produire des éclairages à même de mieux cerner et appréhender pas mal de réalités historiques et de nombreuses zones d'ombre de l'histoire des Aurès légendaires et partant de l'Algérie. Une histoire qui n'aura pas encore livré tous ses secrets. Ceci d'autant que Batna a pu bénéficier en 2012-2013 de l'implantation de l'Institut universitaire national d'histoire qui fut auparavant pressenti pour M'sila. Mostefa Haddad tient sa passion pour l'histoire sans doute de ses origines N'gaoussi, là où la population avait laissé ses empreintes indélébiles dans la résistance contre le colonialisme français. La région de N'gaous n'avait-elle, pas été le fief où s'était réfugié – avant ou après Arris et Menâa – le Bey Ahmed suite à la prise de Constantine l'ottomane par les troupes militaires françaises. Mostefa Haddad a publié de nombreux travaux de recherches dont un ouvrage sur De Gaulle et sa politique envers l'Algérie occupée et deux tomes sur «l'émergence de l'Algérie moderne», attribuée par l'auteur à Bendjelloul et ses partisans ainsi qu'aux gens de l'Est algérien. Ces deux tomes traitent du réveil patriotique et politique ainsi que des combats menés par les modernistes algériens du docteur Bendjelloul et des traditionalistes «oulémas» de Ben Badis dans le constantinois entre les deux guerres mondiales (1919-1939). Les méfaits de la colonisation, prélude à l'insurrection Les ouvrages de Mostefa Haddad ont été conçus, dans leur fond et leur méthodologie, comme un essai économique et social. Ils sont basés sur la reconstitution des faits historiques dont l'action coloniale d'appauvrissement de la paysannerie algérienne. Ces faits engendrèrent, selon l'auteur, des émeutes et des soulèvements dont les massacres du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, et menèrent le peuple algérien à terme au déclenchement de la lutte de Libération nationale. Le mérite du défunt Mostefa Haddad aura été sans doute d'avoir traité des autres formes de combat des Algériens - autre que l'option militaire - qui auront finalement conduit à «l'émergence de l'Algérie moderne». Une histoire culturelle et mentale, dans l'Est algérien, depuis les années 1930, date de la célébration du centenaire de la colonisation (1830-1930). Selon Mostefa Haddad, les manuels scolaires «officiels» de l'Algérie indépendante ont occulté le rôle joué par le docteur Bendjelloul et son parti politique d'envergure nationale. A l'opposé et d'après nos diverses lectures, le penseur algérien Malek Bennabi -disciple de son gourou batnéen feu Hamouda Bensai- avait qualifié le docteur Bendjelloul dans le livre «Pourriture» d'agent créé de toutes pièces par les renseignements coloniaux. Une telle thèse restant encore à confirmer ou à infirmer, historiquement parlant. Pour Mostefa Haddad, le parti politique du docteur Bendjelloul (d'origine turque mais natif de Constantine) et l'association des «oulémas» de Ben Badis ont œuvré tantôt séparément tantôt de concert pour un même objectif. Leurs actions respectives auront marqué l'éveil de la conscience patriotique des Algériens, poussant par la suite à la radicalisation des revendications indigènes. Bendjelloul aurait surtout excellé dans sa tactique de conciliation du statut personnel musulman avec le code de Napoléon. Dans ses actions politiques, il se serait bien servi des moyens modernes de communication tels le recours à la presse, aux associations et aux syndicats. Bendjelloul -Ben Badis : le laïc et le religieux Le mouvement de Bendjelloul pesa, semble t-il, de tout son poids sur les électeurs, voire même sur le cours des premières grèves (certaines plus ou moins violentes) menées dans le Constantinois. Quant à l'association de Ben Badis, mouvement politico-religieux né en 1931, il fut plus radical dans ses positions politiques vis-à-vis de l'administration coloniale. Pour rappel, la création des «Oulémas» d'Algérie a été dans le sillage du mouvement réformiste égyptien de Mohamed Abdou. Bendjelloul et Ben Badis furent donc deux projets de société pour l'Algérie en combat contre le colonialisme, le laïc et le religieux... et l'histoire se répète de nos jours. Les nadis et les cercles ou Médersas, implantés un peu partout dans les villes et les campagnes de l'Est algérien dont les Aurès, auront constitué des outils et vecteurs appropriés pour la réappropriation de l'identité algérienne et de ses valeurs fondamentales dont l'islam. Sauf que, précise l'auteur de «L'émergence de l'Algérie moderne», les «oulémas» de Ben Badis ont su élargir leur influence, cinq années après la création du mouvement, à travers l'ensemble de l'Algérie. Mostefa Haddad estime que le postulat culturaliste des réformateurs religieux triompha dans l'enseignement surtout dans les régions déshéritées, celles délaissées par l'école publique française. L'auteur signale à juste titre que ces réformateurs contrèrent les confréries religieuses, les zaouias, prétendant que l'association de Ben Badis représente les vrais «oulémas» de l'islam. Ils se dressèrent frontalement à la religion telle que pratiquée depuis des siècles par le peuple algérien, qualifiée d'ailleurs de croyances et pratiques païennes, voire de charlatanisme. Plusieurs facteurs ont contribué à l'apparition du mouvement revendicatif algérien allant du tableau de revendications établi par l'émir Khaled aux actions du docteur Bendjelloul. Combats politiques pour l'affirmation des «indigènes» Les revendications politiques, sociales et économiques portèrent sans relâche sur les inégalités de salaires et de statuts entre indigènes et Européens, inaccessibilité des fellahs autochtones aux crédits agricoles, l'exigence d'augmenter la proportion de représentativité des indigènes dans les assemblées électives tels les conseils municipaux, les conseils régionaux, les délégations financières, la révision du statut de l'indigénat par abrogation du décret Régnier, la défense de l'enseignement libre. Le docteur Bendjelloun fut secondé au sein de son parti par ses camarades de même formation que lui, les médecins Saâdane (Biskra), Lakhdari (Guelma), Benkhelil (Batna, le premier président du Club athlétique batnéen, actuel CAB né en 1932) et le pharmacien de Sétif Ferhat Abbès. «Ce fut un combat pathétique, écrira ce dernier», mettant aux prises un peuple qui ne veut pas mourir de faim et (...) un régime qui se refuse à tout changement». La lenteur des réformes au niveau de l'administration coloniale et le refus de Paris de recevoir le docteur Bendjelloul et sa délégation, provoquèrent une vive réaction des indigènes (1933). Il y eut démissions collectives des «élus» dans différentes localités. Des émeutes s'étant produites de surcroît dans le constantinois. Le préfet Leban aurait alerté ses supérieurs par écrit en ces termes : «L'état d'esprit des indigènes a évolué dans un sens très fâcheux susceptible de nous amener bien des surprises dans l'avenir». La récession généralisée, le climat défavorable pour la production agricole, les harcèlements des paysans autochtones par l'administration notamment les services du fisc, ont généré davantage de prise de conscience des Algériens. Bendjelloul et son parti jouèrent le rôle d'éveilleurs et de locomotive politique de la conscientisation populaire. Les «oulémas» faisant le reste mais avec moins d'efficacité, semble-t-il. C'est assurément la célébration avec un faste provocateur (1930) du centenaire de la colonisation et par la suite les massacres de mai 1945 qui auront accéléré le processus ayant abouti à l'insurrection de 1954 pour la libération de l'Algérie du joug colonial. Les armes ayant pris le relai des discours et des revendications : parce que l'administration coloniale n'a pas jugé utile de donner suite aux réformes annoncées par Bendjelloul en 1939 (plateforme des revendications) par intransigeance dominatrice et exploiteuse, d'où finalement le cheminement vers l'action armée pour la décolonisation.