La reconnaissance des crimes de guerre commis par la France en Algérie y va de «l'honneur» des Français et non pas de celui des Algériens, a affirmé, hier, l'historien Hassan Remaoun, estimant que «tourner» la page coloniale «ne signifie nullement l'effacer et encore moins l'arracher». «Une reconnaissance forte par la France de ses méfaits, massacres coloniaux et autres crimes de guerre ne pourrait que faciliter psychologiquement l'acceptation du dialogue et de la coopération avec ses anciennes colonies. C'est l'honneur des Français qui est en jeu et non pas le nôtre», a indiqué l'historien. Cette reconnaissance, qui représente un sujet de controverse, constituerait également une «thérapie pour les Français eux-mêmes à travers l'appréhension de leur propre passé et l'évolution de leur image à l'étranger», a-t-il ajouté. Evoquant la visite en Algérie du secrétaire d'Etat auprès du ministre français de la Défense, chargé des Anciens combattants et de la Mémoire, Jean-Marc Todeschini, M. Remaoun y voit un «signe de bonne volonté» dont le but est de «contribuer au moins à apurer un passif colonial certainement lourd». Il rappelle, à ce propos, les précédents gestes entrepris par la France dans ce sens, le premier du genre remontant en mai 2006 sous la présidence de Jacques Chirac, lorsque l'ambassadeur de France en Algérie s'était déplacé à Sétif pour rendre hommage aux victimes des massacres du 8 mai 1945. Il en est de même lorsque François Hollande, alors candidat à la présidence de la République, s'était joint aux commémorations en hommage aux victimes algériennes d'octobre 1961 lors du cinquantenaire de la répression sanglante à Paris et dans ses banlieues, ou encore lors de sa visite en tant que chef d'Etat en décembre 2012 en Algérie où «il s'était d'ailleurs démarqué des crimes menés du temps de la colonisation». «Pour arriver à tourner la page, il ne s'agit pas de l'effacer et encore moins de l'arracher. Il faudrait que tout le monde soit dans un état d'esprit favorable à cette perspective», note l'historien, estimant qu'à ce sujet, les avis sont «partagés» de part et d'autre. Des traumatismes encore profonds Abordant les effets de l'ère coloniale en Algérie, l'historien évoque des «traumatismes profonds» dans les deux pays, «si bien que plus de cinquante ans après l'accession du pays à l'indépendance, on ne peut parler d'une mémoire complètement apaisée dans le rapport entre les deux rives de la Méditerranée». «En réalité et pour différentes raisons, le passé colonial continue à peser lourdement sur la conscience et l'imaginaire des vivants. Les cicatrices léguées par ce passé sont encore profondes, avec leur part d'anomie, de frustrations et de nostalgie, qui imprègnent encore les anciens bénéficiaires et victimes du système colonial», explique-t-il. M. Remaoun insiste, à ce propos, sur le fait de «ne pas confondre entre la victime, en l'occurrence les Algériens, et l'oppresseur, qui est le colonialisme». L'historien considère, ainsi, que la France «tient sans doute à perpétuer l'image qu'elle cultive d'elle-même, de pays de la révolution, de la liberté et des droits de l'Homme, mais qu'en réalité, c'est un Etat aussi foncièrement nationaliste et chauvin que les autres, et qui pense pouvoir préserver sa réputation en regardant ailleurs au lieu de balayer devant sa propre porte». «C'est ainsi que les méfaits de la colonisation comme ceux de la collaboration au moment de l'occupation allemande et du régime de Vichy, ou même de la traite des esclaves (y compris après la révolution de 1789) ont été longtemps officiellement occultés», rappelle-t-il. L'historien observe, néanmoins, qu'«heureusement, tous les Français ne partagent pas cette optique et savent le prix à payer pour que le message d'égalité et de liberté ne se limite pas à un faire-valoir. Ils ne se laissent pas neutraliser sous la pression des lobbies de nostalgiques et des enjeux électoraux et de pouvoir». Mémoires d'ici... et d'ailleurs «Les mémoires algériennes et françaises sont très différentes, même si elles peuvent cibler des séquences historiques similaires. Cependant une culture de la reconnaissance et de la tolérance de l'autre peut favoriser un rapprochement», estime, par ailleurs, l'historien. Remaoun rappelle, à ce sujet, les éléments de rapprochement déjà existants entre les deux rives, à savoir l'usage «répandu» de la langue française en Algérie, la forte population émigrée en France et bon nombre de Français ayant transité par l'Algérie. En sus de cela, un voisinage géographique et des intérêts économiques qui peuvent être «très convergents», relève-t-il, considérant que «c'est plus sur ces facteurs qu'il faudra s'appuyer, plutôt que sur les différends». «Les bonnes relations et la persévérance dans le contact, pourront contribuer toujours un peu plus à faire triompher l'objectivité dans le regard porté sur un passé», souligne-t-il, relevant, à ce propos, l'apport des historiens dans ce sens. L'historien conclut en soutenant que les "priorités" de l'Algérie indépendante sont en «réalité ailleurs», considérant que «la vigilance anticolonialiste est toujours de mise».