A l'échelle « nationale », le torchon brûle entre les deux gouvernements qui se partagent un semblant de contrôle du pays, désormais divisé en deux zones d'influence mouvantes et floue, qui correspondent plus ou moins à la Cyrénaïque, d'une part, et à la Tripolitaine, d'autre part, mais pas au Fezzan ; un retour à la situation qui prévalait avant la colonisation italienne... La fracture était inévitable et, le 6 mars 2012 déjà, le conseil des tribus de Cyrénaïque avait créé un « Conseil national de Cyrénaïque » et proclamé l'autonomie de la région ; il faut prendre conscience que trois quart des réserves pétrolières sont situés en Cyrénaïque et que ce conseil entendait bien défendre cet avantage et en réserver les intérêts aux habitants de cette seule région (le pétrole libyen, plus grandes réserves d'Afrique avec près de 45 milliards de barils, très facile d'exploitation, d'excellente qualité et proche des clients européens, représente plus de 90% des revenus du pays et près de 95% de ses exportations). Les chefs tribaux avaient d'ailleurs placé à leur tête Ahmed al-Senoussi, un membre de la famille royale libyenne déchue, cousin de l'ancien roi Idriss ; tout un symbole... Mais, sous les pressions occidentales, le Conseil avait finalement accepté de reconnaître l'autorité du CNT et les velléités séparatistes de certains de ses membres sont restées sans lendemain... En dépit des tentatives de négociations qui ont commencé à Genève en janvier 2015, ces deux appareils se livrent une guerre civile dont profite l'Etat islamique et les chefs tribaux qui apportent au plus offrant leur soutien changeant. Ces deux gouvernements ne contrôlent plus ou moins que les villes de Tripoli et Tobrouk. Partout ailleurs, le pouvoir réel est ainsi dans les mains des chefs tribaux, voire dans celles des chefs de clans, la plupart des tribus étant fortement divisées et les clans, jaloux de leurs intérêts locaux. Sans compter le Djebel Nefoussa, dont les Berbères ont fait une forteresse quasiment inexpugnable, et le vaste désert du sud-Fezzan, où les tribus touarègues prennent peu à peu leurs marques. A l'échelle internationale, de multiples facteurs rendent la Libye importante pour les intérêts états-uniens et européens. Les réserves pétrolifères —les plus grandes d'Afrique, précieuses pour leur haute qualité et leur faible coût d'extraction— et celles de gaz naturel, qui étaient sous contrôle de l'Etat libyen, lors du règne de Kadafi, qui concédaient aux compagnies étrangères des marges de bénéfices restreintes. Les fonds souverains, d'un montant d'environ 200 milliards de dollars (disparus après avoir été confisqués), que l'Etat libyen avait investi à l'étranger et qui en Afrique avaient permis de créer les premiers organismes financiers autonomes de l'Union africaine. La position géographique même de la Libye, à l'intersection entre la Méditerranée, l'Afrique et le « Moyen-Orient ».