Entretien r�alis� par Tarek Hafid En proclamant l�autonomie de la Cyr�na�que, les chefs des r�gions de l�est de la Libye ont provoqu� un brusque changement de la donne politique dans ce pays. Cette initiative met � mal un Conseil national de transition d�j� en manque de l�gitimit�. Le retour � un syst�me f�d�ral � tel qu�il existait avant 1963 � n�est actuellement pas possible du fait de l�absence d�un Etat libyen dot� d�institutions repr�sentatives et l�gitimes. L�instauration de cet Etat passe avant tout par un d�mant�lement total des milices et l�acceptation d�un consensus politique entre les tribus du pays. A terme, si les repr�sentants de la Cyr�na�que, du CNT et des autres tribus ne parviennent pas � un compromis, une guerre civile ne sera pas � �carter en Libye. Selon Yahia Zoubir, professeur de relations internationales et directeur de recherche en g�opolitique � Euromed Management Marseille, les �l�ments pour l��clatement d�un conflit interne existent. Libye, Nord-Mali, Alg�rie, Sahel� Yahia Zoubir d�crypte les enjeux qui se profilent dans une r�gion sous haute tension. Le Soir d�Alg�rie :Les chefs de tribus de l�est de la Libye ont proclam�, de fa�on unilat�rale, l�autonomie de la Cyr�na�que. Estce le d�but de l��clatement de la Libye ? Pr Yahia Zoubir : Je ne pense pas que ce soit un d�but d��clatement. La situation est encore tr�s floue, car il est certain que le Conseil national de transition (CNT) ne contr�le rien. Mais � mon avis, cette d�claration est impromptue. Ce n��tait pas du tout le moment de d�clarer l�autonomie de la Cyr�na�que. Peut-�tre que les tribus de l�est ont agi de la sorte pour lancer un avertissement au CNT ? Ces tribus estiment, aujourd�hui encore, que leur r�gion est l�s�e. Il ne faut pas oublier que la Libye a �t�, jusqu�en 1963, un Etat f�d�ral qui �tait compos� de trois grandes entit�s : la Cyr�na�que, la Tripolitaine et le Fezzan. Si effectivement nous �tions dans un contexte avec un Etat libyen dot� d�institutions, un syst�me f�d�ral ne serait pas n�cessairement mauvais. Justement, Mustapha Abdeldjalil a menac� d�intervenir par tous les moyens pour instaurer l�autorit� de l�Etat. En a-t-il les moyens ? Je ne pense pas. Le CNT est faible. Je pense qu�il compte sur un soutien interne, peut-�tre des tribus de la Tripolitaine, pour pouvoir contrecarrer les vis�es des repr�sentants de la Cyr�na�que. Sinc�rement, je ne suis pas �tonn� que cette initiative soit men�e par un cousin du roi Idriss Al-Senoussi. La Cyr�na�que a toujours �t� tr�s particuli�re, car c�est un fief conservateur. La confr�rie des Senoussi est tr�s conservatrice et il y a toujours un fort sentiment de vengeance envers la Tripolitaine. D�s l�arriv�e de Mouammar Kadhafi en 1969, cette r�gion s�est consid�r�e l�s�e sur tous les plans. La d�claration d�autonomie refl�te �galement le manque de l�gitimit� du CNT. Les milices continuent de jouer un r�le majeur. Finalement, le �g�nie� de Mouammar Kadhafi a �t� de mettre en place des m�canismes pour f�d�rer les trois grandes r�gions ? Bien entendu, mais je n�appellerai pas cela du g�nie. Kadhafi �tait issu d�une tribu minoritaire sur le plan du nombre. Il a jou� un r�le de m�diation entre les autres tribus. C�est ce m�canisme qui a disparu. Mais Kadhafi n�a pas mis en place les institutions n�cessaires � la gestion d�un Etat fort. Actuellement, il n�y a plus d�Etat. Et le plus urgent consiste � trouver un consensus pour b�tir cet Etat. Ce n�est que par la suite que l�on pourra parler de f�d�ralisme ou de semi-f�d�ralisme. Actuellement, le CNT r�agit comme s�il �tait face � une s�cession. Mais le f�d�ralisme n�est pas une s�cession. Mais dans le cas actuel, en l�absence d�Etat et d�institutions, cela peut �tre per�u comme une s�cession� Effectivement. Et c�est pour cela que je dis qu�il est trop t�t pour envisager une telle perspective. Elle causerait plus de probl�mes qu�elle n�en r�soudrait. Actuellement, la construction de l�Etat est bloqu�e par les milices car la force militaire est entre leurs mains. Il faut avant tout d�sarmer les milices et int�grer leurs membres dans une arm�e nationale. Il s�av�re que la Cyr�na�que dispose des plus importantes r�serves �nerg�tiques du pays. Ce potentiel pourrait-il �tre utilis� par ses repr�sentants pour obtenir le soutien de la communaut� internationale ? C�est effectivement un grand avantage. On entend parler de plus en plus d�un plan �labor� par des puissances �trang�res pour une sorte de partition de la Libye. C'est-�-dire que la Tripolitaine serait rest�e sous l�influence de �l�Est�, donc de la Chine et de la Russie. Et la Cyr�na�que serait plut�t favorable aux Occidentaux. C�est pour cela que le CNT soup�onne le Qatar d��tre derri�re cette initiative. Les Qataris agiraient donc comme des sous-traitants pour l�Occident. Si la situation ne change pas, un sc�nario � la yougoslave est-il possible ? C�est possible. La mani�re dont s�est d�roul�e cette soi-disant r�volution, avec l�intervention �trang�re, a cr�� des inimiti�s entre les tribus. Les warfala sont divis�s, les toubous et les zouwaya sont en conflit� donc le potentiel pour une guerre civile existe. Tout d�pendra de la capacit� du CNT � imposer sa l�gitimit�. Car n�oublions pas que ce n�est qu�une instance de transition. La d�gradation des relations entre toutes ces parties pourrait-elle se r�percuter sur la r�gion ? Les r�percutions sur la r�gion sont difficiles � pr�voir. A court terme, cela pourrait provoquer des flux migratoires et augmenter le trafic d�armes. Cela causerait un grand probl�me de repr�sentativit� avec les pays voisins de la Libye en cas de guerre civile. C�est le cas notamment pour l�Alg�rie qui est en voie de signer des accords avec ce pays. La situation est potentiellement dangereuse. La gestion du dossier libyen a-t-elle �chapp� aux Occidentaux ? Je pense que oui, malgr� le retour des compagnies p�troli�res. De ce point de vue-l�, ce n�est pas un gros souci. Sous Kadhafi, les Europ�ens avaient sign� des accords avec la Libye pour contr�ler les flux migratoires. Les Europ�ens seraient confront�s � une probl�matique s�v�re si l�Etat libyen ne se constitue pas. Si l�on devait faire une projection sur les dix prochaines ann�es, pensez-vous que le Sahel aura toujours la m�me configuration ? Va-t-on vers un morcellement des Etats ? C�est le cas actuellement au Soudan, et les conditions semblent r�unies en Libye et au Mali� La fragilit� des pays de la r�gion est incontestable. La pr�sence des groupes terroristes, d�Al Qa�da au Maghreb islamique principalement, peut avoir des effets d�stabilisateurs internes. Par ailleurs, nous assistons � une immixtion des pays occidentaux. Ces derniers estiment que si les Etats de la r�gion ne peuvent pas assurer la s�curit�, cela devient une menace pour eux et qu�ils sont dans l�obligation d�intervenir. Il est concevable qu�il y ait une plus grande intervention �trang�re. L�Europe et les Etats-Unis sont tr�s concern�s par ce qui se passe dans le Sahel. Pour ce qui est du Mali, je pense que les Am�ricains avaient confiance en les capacit�s de l�Alg�rie � contr�ler la situation. Mais nous sommes actuellement face � l��chec des n�gociations engag�es entre Bamako et les repr�sentants de la r�bellion touareg. Mais s�ils estiment que les pays du champ ne parviennent pas � imposer leur contr�le, les Etats-Unis ne se suffiront pas d�une simple coop�ration. Ils pourraient intervenir directement. Dans le cas du Mali, pensez-vous que les Occidentaux sont pour l�instauration d�un �Etat touareg�. La volont� des uns et des autres est tr�s floue actuellement ? Franchement, je ne pense pas qu�une partition du Mali soit favoris�e par les pays occidentaux, la France en particulier. Mais si la r�bellion continue, la donne pourrait changer. On tend � oublier que cette r�bellion dispose de la logistique militaire libyenne. Ce sont les troupes touaregs qui avaient combattu aux c�t�s de Mouammar Kadhafi qui sont revenues au Nord- Mali. Mais une partition du Mali n�est pas concevable actuellement, ni par les Occidentaux ni m�me par les pays voisins. Un pays comme l�Alg�rie n�est pas du tout int�ress� par une telle partition. Cela remettrait en cause toute la notion d�intangibilit� des fronti�res. Dans le cas du conflit au Nord-Mali, il semble que l�Alg�rie soit partag�e entre le fait de pr�server le pouvoir central malien et le soutien aux Touaregs qui sont seuls � lutter contre les terroristes d�Aqmi dans ce pays. C�est une position tr�s complexe� C�est pour cela que l�Alg�rie souhaite continuer � jouer le r�le de m�diateur. Alger doit participer � trouver une solution interm�diaire. La question est la suivante : va-t-on r�ussir � offrir aux Touaregs autre chose que des promesses de d�veloppement et d�int�gration au sein des forces arm�es ? Aujourd�hui, il y a un manque total de confiance entre les Touaregs et le pouvoir central. Ce dernier, durant des ann�es, a totalement n�glig� la r�gion du Nord. Les Touaregs ont des arguments cons�quents. Peut-�tre vont-ils revoir leurs demandes et aller vers une forme d�autonomie dans le cadre de l�Etat malien. Les Alg�riens pourraient accepter cette option d�autonomie. Bien entendu, celle-ci n�aura absolument rien � voir avec celle que tente d�imposer le Maroc au Sahara occidental. Actuellement, le pouvoir central de Bamako est fragilis� � cause des probl�mes de corruption, de terrorisme, de trafic de drogue et de manque de transparence. La situation est donc tr�s complexe.