C'est un titre à fortes connotations, durant la nuit coloniale. Les Algériens qui l'avaient créé étaient des intellectuels de la 1ère génération de l'école française ; ils étaient pour la plupart des institutions qui avaient eu le mérite de se retourner contre les colonisateurs et avec leurs propres armes. En 1904, nous sommes à la soixante quatorzième année de l'occupation française, année qui donnait à constater ainsi que les intellectuels arabisants sortis des zaouias (voir cartes des zaouias dans «Affrontements culturels dans l'Algérie coloniale» de Yvonne Turin) avaient réduit leur champ d'expression beaucoup avaient choisi de s'émigrer en Syrie ou en Palestine. Et qui dit colonisé, dit oppressé, interdits de parole même pour se plaindre contre le sort imposé. Les Algériens n'avaient même pas le droit de prendre à témoins les peuples libres sur la misère matérielle et la misère culturelle. C'était par la chanson que les Nègres réduits à l'esclavage en Amérique se faisaient entendre pour dire leurs souffrances à ceux qui, dans le monde avaient quelque indulgence ou sentiment humain de les écouter. Journal de la première intelligence Il y avait en Algérie près de 300 intellectuels : instituteurs, médecins, avocats d'origine algérienne qui ont osé élever leur voix pour dire tout haut leurs droits à une vie digne et au respect de la personnalité algérienne. Abdelkader Djeghloul, illustre intellectuel et homme de lettres après avoir été professeur émérite, disparu il y a de cela quelques années, nous sert de source pour les informations essentielles concernant la fondation de ce premier journal algérien par son ouvrage «Eléments d'histoire culturelle algérienne». Lui-même nous a rapporté les propos d'un collaborateur d'El Misbah à l'adresse des colonisateurs, en 1905 : «je salue avec joie le réveil intellectuel de la race arabe» ; En parlant des 240 instituteurs, 40 bacheliers, 25 avocats et médecins, Abdelkader Djeghloul use du nom collectif «intelligenstia» qui lui a servi pour désigner la classe des intellectuels très faible par le nombre mais assez bien formée pour être efficace comme porte parole des masses populaires silencieuses. Celles-ci ont cependant fait preuve de courage lorsqu'il a fallu se soulever pour se révolter. C'est de cette intelligenstia qu'a vu le jour le premier cercle culturel à Alger en 1902 sous le nom de « Rachidia », suivi de la naissance du premier journal en 1904 «El Misbah » à Oran. Son directeur est un instituteur de Tlemcen, Larbi Fekar, secondé par son frère, Benali Fekar, premier docteur en droit algérien et qui a exercé en qualité de professeur à l'école supérieure de commerce de Lyon. Ce premier journal montré du doigt par les colons comme annonciateur d'une subversion était à multiple vocation : politique, littéraire, économique, agricole et social, paraissait le vendredi, en 2 pages en français, 1 page en arabe, une page pour les annonces. Ce fut un hebdomadaire qui bénéficia au départ du soutien de 1 700 abonnés. Mais, malgré le salut haut et fort de l'équipe rédactionnelle pour le réveil des intellectuels arabes, le journal était plutôt conciliant en voulant servir de trait d'union entre les colonisés et les colonisateurs, du moins en apparence. « El Misbah » ne tarda pas pour son manque de franc parler à se faire supplanter par, huit ans plus tard par «ElHack ». On ne connaît pas ce qui a pu advenir de ce journal, aucun détail n'a pu être donné à son sujet. Restons dans ce premier journal pour dire que les participants à son élaboration devaient biaiser, parler par allusion pour se maintenir dans le paysage culturel de l'époque. Tout en étant corrosif contre l'occupant dans un langage ambigu, le journal a tout fait pour que la France accepte de scolariser le maximum d'enfants de l'époque. Ainsi, on a voulu éveiller les consciences à une réalité coloniale peu réjouissante, en développant la culture et l'apprentissage en général. L'expérience a montré au fil des décennies de colonisation que les cadres des mouvements nationalistes et de libération sont pour la plupart des francophones. Avec le développement de l'instruction, on a assisté à une expansion des revendications «El Misbah» et El Hack n'ont été en réalité que le prélude à la naissance de groupes d'intellectuels anticoloniaux. C'était dans la décennie qui a vu la naissance d'El Hack, que d'autres instituteurs, ceux des promotions qui ont suivi, ont fondé « La voix des humbles», un journal des instituteurs qui revendiquaient les droits accordés à leurs collègues français. A l'école normale de Bouzaréah, il y avait une distinction criante dans la formation des instituteurs dits indigènes et la formation destinée aux français. Il y avait deux écoles différentes : le cours normal réservé aux indigènes, et l'école normale des instituteurs français qui bénéficiaient d'un enseignement de haut niveau et de meilleure qualité. Cette distinction flagrante en indigènes et français à l'intérieur de l'école ne pouvait que créer des esprits révoltés. Dans un tel contexte d'injustices, comment a-t-on osé parler d'assimilation, et comment des Algériens de l'époque ont-ils pu devenir des assimilés ? Sur le concept d'identité, on ne marchande pas Ainsi l'assimilation proposée de part et d'autre, n'est qu'un leurre. Un instituteur avait accepté l'assimilation à outrance au point même de se faire évangéliser. Il est devenu français et catholique. Mais il a vite déchanté. Ayant été pris dans une rafle par une troupe française, après attentat, un militaire lui a dit : «vous n'êtes qu'un bougnoule comme les autres ». Il a essayé de faire valoir ses droits mais en vain. Les extraits des numéros du journal annexés à cette étude A. Djeghloul, ne donne rien qui ait pu faire plier les colons dans leur politique d'exploitation. Ce qui a fait dire à Larbi Fekar : « quand donc voudra-t-on nous traiter sur le même pied d'égalité, au moins par respect pour les lois qui en ont décidé ainsi». Les administrateurs coloniaux sont restés insensibles à la misère, aux maladies, à l'ignorance auxquelles étaient livrés les Algériens opprimés. C'est pour exprimer leur révolte à ces injustices coloniales que la première troupe théâtrale créée par les médersiens sortis de l'école de la rue Bencheneb, ont inventé des pièces tragiques où même, derrière le comique, se cache la volonté d'en finir avec l'administration coloniale. Les premiers acteurs furent Maheiddine Bachtarzi, Rachid Ksentini, et d'autres.