Si l'escalade diplomatique se poursuit entre Téhéran et Riyad, elle risque de déstabiliser toute la région, et plonger un peu plus le Yémen dans la guerre. La montée des tensions entre l'Iran et l'Arabie saoudite depuis l'exécution de l'opposant chiite saoudien Nimr Baqer Al-Nimr, samedi 2 janvier, menace l'ensemble du Moyen-Orient. Première victime potentielle de la rupture par Riyad de ses relations diplomatiques avec Téhéran : les négociations de paix au Yémen, qui sont censées reprendre en janvier 2017. Le pays est en guerre depuis le mois de mars. L'Arabie saoudite y combat, en soutien au gouvernement, les rebelles houthistes, que Riyad voit comme des agents iraniens à sa frontière, et qui ont contribué au vacillement du pouvoir en place. Affrontements par alliés interposés Samedi, l'Arabie saoudite a exécuté quarante-sept condamnés à mort, dont l'opposant chiite Al-Nimr, un clerc formé en Iran. Cette décision a été vécue comme une provocation en Iran, qui se considère comme le protecteur du monde chiite. Dans la nuit de samedi à dimanche, des radicaux ont incendié et pillé l'ambassade d'Arabie saoudite à Téhéran. En réaction, l'Arabie saoudite a rompu ses liens diplomatiques avec l'Iran, suivie lundi par Bahreïn et le Soudan. La tension entre les deux grandes puissances du Moyen-Orient est le résultat d'une ancienne rivalité entre des Etats qui luttent chacun pour défendre, ou étendre, leur aire d'influence. Le royaume saoudien, qui abrite les deux principaux lieux saints de l'Islam, la Grande Mosquée à La Mecque et la mosquée du Prophète, à Médine, se présente comme le rassembleur du monde sunnite, branche principale de l'islam. L'Iran, théocratie chiite, une confession minoritaire à travers le monde, conteste cette domination. A cela s'ajoute la rivalité entre une monarchie et une république islamique, entre aire culturelle arabe et persane, ainsi qu'une compétition économique sur le marché du pétrole, exacerbée par la baisse du prix de l'or noir. Les deux pays s'affrontent par alliés interposés sur plusieurs terrains : en Irak, en Syrie et au Yémen. Si l'Iran était plutôt dans une optique de normalisation diplomatique après l'accord sur son programme nucléaire conclu en juillet avec les grandes puissances internationales, Salman, le nouveau roi d'Arabie saoudite, cherche à montrer sa fermeté et à préserver son influence alors que ses alliés américains se désengagent de la région. La guerre civile en cours au Yémen oppose des houthistes du nord du pays, issus de la minorité zaïdite (une branche du chiisme), aux forces loyalistes fidèles au président Abd Rabbo Mansour Hadi. Comme l'explique Farea Al-Muslimi, spécialiste du Yémen au Centre Carnegie pour le Moyen-Orient, «le conflit était d'abord régional, politique, voire géographique, mais ce n'est que lorsque les houthistes ont pris la capitale que l'affrontement a pris une dimension religieuse». Les rebelles houthistes ont conquis en septembre 2014 Sanaa, la capitale, puis en mars 2015 Aden, la deuxième ville du pays, forçant le président à s'exiler en Arabie saoudite. Inquiètes de voir se développer une rébellion chiite à leur frontière sud, les autorités saoudiennes se sont alors engagées militairement le 26 mars au côté des loyalistes du président Hadi, en lançant des raids aériens et en fournissant matériel et troupes au sol, à la tête d'une coalition de neuf pays arabes. L'Arabie saoudite estime que l'Iran pourrait instrumentaliser les houthistes, comme il le fait avec le Hezbollah chiite au Liban. En neuf mois, la guerre au Yémen a déjà provoqué six mille morts, vingt-huit mille blessés et deux millions cinq cent mille déplacés, selon l'Organisation des Nations unies (ONU), qui estime que 80% des Yéménites ont besoin d'aide humanitaire. Discussions indirectes Alors que le conflit semble bloqué, un cessez-le-feu avait été décrété le 15 décembre et des pourparlers de paix avaient été engagés en Suisse, dans un lieu tenu secret, pour la seconde fois depuis le mois de juin. Mais ces discussions, qui sont toujours restées indirectes, se sont terminées après cinq jours sans résultat concret. Quant à la trêve, violée quasi quotidiennement depuis la mi-décembre, elle a officiellement pris fin le 2 janvier. Les représentants des forces loyalistes et des rebelles houthistes avaient prévu de se retrouver le 14 janvier, mais l'escalade diplomatique entre l'Arabie saoudite et l'Iran rend quasi impossible le succès de ce second round de négociations. «Pour l'Iran comme pour l'Arabie saoudite, le Yémen est la nouvelle zone de front. C'est une guerre low cost, un endroit pour montrer ses muscles, explique Farea Al-Muslimi. La tension entre les deux pays va prolonger la guerre et amenuise les chances de solution politique.» L'ambassadeur saoudien à l'ONU a tenté de rassurer, lundi en fin de journée, en expliquant que la crise avec l'Iran n'aurait «aucun effet» sur les négociations concernant la Syrie et le Yémen. Il a ainsi dit espérer que les pourparlers de la mi-janvier soient «productifs» ajoutant cependant au passage que cela «dépendra de l'attitude des houthistes». Chaos favorable aux terroristes L'enlisement dans la guerre civile au Yémen crée cependant une situation de chaos favorable à la prolifération de groupes terroristes. L'organisation Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), principale branche de la nébuleuse Al-Qaïda, a profité de la guerre pour renforcer son emprise dans le Sud du pays. Des éléments de ce groupe ont notamment participé à la reprise d'Aden aux côtés des troupes loyalistes et étrangères. Ils y affirment depuis leur présence : le 4 janvier, un couvre-feu a été déclaré à la suite de violents combats. AQPA est désormais concurrencée par l'organisation Etat islamique, qui a perpétré ses premiers attentats en mars contre des mosquées chiites, avant de s'attaquer à des cibles militaires et gouvernementales depuis octobre.