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La critique qui ne vous gâchera pas Les Derniers Jedi
Publié dans La Nouvelle République le 17 - 12 - 2017

Plus original que Le Réveil de la Force, le film de Rian Johnson alterne réussites et fautes de goût. Explications sans spoiler.
C'est avec une certaine fébrilité teintée d'un nouvel espoir que nous avons foncé dans Les Derniers Jedi. Après un Réveil de la Force égaré dans son overdose de fan service et noyant sa vacuité dans une agitation stérile, cet Episode VIII saurait-il enfin nous transporter dans les étoiles ? Commençons par la bonne nouvelle : le padawan Rian Johnson (réalisateur du thriller de SF Looper), nouveau venu dans la galaxie et crédité comme unique scénariste du film, a su échapper au piège du clonage de l'héritage lucasien pour explorer enfin des univers inédits.
Pas de panique : on retrouve intacts les petits sentiers tracés par J. J Abrams dans l'Episode VII et ce nouveau chapitre s'ouvre par ailleurs sur le même procédé d'ellipse pessimiste que jadis L'Empire contre-attaque. Dans La Guerre des étoiles, les rebelles avaient beau avoir fait sauter l'étoile Noire et conclu le récit en vainqueurs, l'opus suivant les montrait retranchés sur la planète gelée Hoth, en fuite face aux troupes impériales.
En 2018, rebelote : malgré la destruction de la base Starkiller dans Le Réveil de la Force, la Résistance est loin d'être sortie de l'auberge. La flotte du général Leia continue d'être poursuivie par l'impitoyable Premier Ordre, tandis que, sur une île reculée de la planète Ahch-To, Rey supplie l'ermite Luke Skywalker de rejoindre les rebelles en détresse. Et accessoirement de l'aider à maîtriser la Force qui bouillonne en elle. Le temps presse, le côté obscur menace en la personne du tentateur parricide Kylo Ren...
Elégants clins d'œil aux fondamentaux
Le grand mérite des Derniers Jedi est d'avoir su poser une ambiance très différente du Réveil de la Force et une narration relativement originale dans sa volonté de déconcerter. À deux ou trois lignes près, la structure du scénario ne ressemble à aucun autre Star Wars, final y compris, et Johnson s'efforce d'élargir l'univers créé par Lucas. La comparaison avec L'Empire contre-attaque n'est pas illogique dans la mesure où Les Derniers Jedi montre aussi une rébellion au bord du gouffre et complexifie la narration du volet précédent. Nouveaux personnages, nouveaux mondes, nouvelles bébêtes (on ne balance pas les Porgs, ils sont presque mimi)...
Et un Luke Skywalker enfin en pleine lumière après son apparition muette en conclusion du Réveil de la Force, belle récompense pour un Mark Hamill à la hauteur, physiquement comme dans son jeu. Saluons aussi l'élégance des discrets clins d'œil aux fondamentaux, moins lourdement assénés que dans l'Episode VII, comme ce touchant rappel à l'ordre opéré par R2-D2 à l'encontre d'un Luke confiné dans ses regrets.
Débutant par une enivrante bataille spatiale égalant les meilleurs combats de Rogue One, dans ses axes de caméra étourdissants comme son intensité tragique, Les Derniers Jedi offre également son lot d'images à couper le souffle. Plus tard dans l'histoire, un usage kamizaze du passage en vitesse lumière va même nous livrer sans conteste l'un cinq plus beaux plans jamais vus de toute la saga. À cet instant, on n'est pas loin de la sidération tant le spectacle est total.
La planète Crait, à la surface de glace abritant un sous-sol de granit rouge, offre par ailleurs aux combats un cadre digne d'une toîle de maître et témoigne de la puissante « vista « esthétique de Rian Johnson. Enfin, à l'actif des Derniers Jedi, notons aussi une cohérence féministe bienvenue avec le précédent opus, via la nouvelle venue Rose et le général Leia, qui se paiera Poe Dameron lors d'un mémorable savon. Avec au passage, une réflexion intéressante sur la notion de sacrifice liée au nombril masculin.
Un film de transition sans véritable coup de théâtre
Il y a hélas une mauvaise nouvelle. Au fil d'un temps de vol trop long de 2 h 30, Les Derniers Jedi n'évite pas de trop nombreux trous d'air. À côté des réussites graphiques, on est tout d'abord étonné d'autres choix malheureux qui manquent de faire basculer le film dans le comique involontaire : témoin, le repaire aux parois rouges de Snoke et ses gardes kitsch, louchant sur le palais de Ming dans Flash Gordon ou le look douteux de l'amiral Holdo (Laura Dern en sosie décoloré de Valérie Lemercier).
La parenthèse laborieuse dans la cité-casino de Canto Blight, version grand luxe de la Cantina de Tatooine, rappelle quant à elle curieusement les goûts visuels de Lucas période prélogie voire le Besson de Valérian (ce n'est pas un compliment). Même Leia, choyée au montage pour d'évidentes raisons, frise dangereusement le grotesque au détour d'une scène sidérale qu'on vous laissera le soin d'apprécier (ou non). On est heureux, dans ce contexte, que le toujours très soupe au lait Kylo Ren ait enfin décidé de se débarrasser de son casque «ridicule» (dixit Snoke lui-même !), ornement inutile depuis Le Réveil de la Force. Mais le plus gênant est l'impression d'un film de transition avec l'Episode IX, sans aucun véritable coup de théâtre et aux sous-intrigues peu excitantes.
À trois reprises, Les Derniers Jedi flirte avec la tragédie ou un choix scénaristique radical, qu'il choisit finalement d'éviter. Des trames entières s'avèrent inutiles et surtout, les temps forts émotionnels du film échouent à produire les frissons espérés, de par une impression d'écriture trop mécanique.
Même l'intrigue autour du Seigneur Snoke laisse un sentiment de promesse non tenue, eu égard à la pompe qui l'entourait depuis Le Réveil de la Force. Reste la tentative ambitieuse d'explorer plus avant la question ô combien délicate – Lucas lui-même s'y est cassé les dents – de la religion jedi. Puisque le côté obscur surgit toujours pour faire face au côté lumineux de la Force, ne faudrait-il pas, au fond, jeter l'ensemble aux oubliettes ? Oubliant par instant ses péripéties à n'en plus finir et son cahier des charges commercial, l'Episode VIII frôle la philosophie, posant des problématiques qui, à défaut d'être approfondies, rendent un peu à la saga sa dimension métaphysique.
Las, malgré toutes ses qualités, Les Derniers Jedi retient encore trop ses chevaux et ploie sous le poids des contraintes inhérentes à la colossale entreprise Star Wars. Les derniers liens à trancher avec les figures du passé en font partie et l'on sent que Johnson, fan absolu comme J. J Abrams, n'a pas su ou pu s'en affranchir sereinement, comme le prouve la réapparition assez maladroite d'un autre totem fétiche de la saga. Pour l'avenir de la franchise, Lucasfilm et ses commis réalisateurs devraient peut-être suivre l'injonction lancée par Kylo Ren à Rey en plein milieu des Derniers Jedi : «Il faut laisser mourir le passé». Ce sera peut-être pour la prochaine trilogie ?


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