Oublier ou méconnaître le passé de nos martyrs, se méprendre du mérite de leurs sacrifices est aussi disgracieux, capitulard que malhonnête. De tels oublis ne s'oublient pas. La vérité nous attend, elle attend toujours. Des hommes acquis à la noble cause, décidés et convaincus ont donné leur âme pour une Algérie digne, libre et indépendante. Gloire à eux. Les moudjahidine de la génération révolutionnaire, encore vivants, doivent réagir, montrer à la jeunesse montante le prix de cette rude et longue lutte qui nous a libérés du colonialisme cruel. Qu'est-ce que Cortesse pour un jeune Bordjien d'aujourd'hui ? Un lieu quelconque, un quartier, de jolis arbres, sinon un arrêt de bus. Cortesse : un exécrable arrêt. L'arrestation des hommes libres, une sinistre maison d'arrêt. L'arrêt à la révolution naissante. Oui, Cortesse était la tristement célèbre ferme coloniale faisant office de caserne militaire de tri et de transit. Un lugubre centre de torture. Des supplices inénarrables faisaient la renommée de ce lieu maudit. Créé par les forces coloniales justes après le déclenchement de la guerre de libération, la ferme du colon Cortesse avait comme fier objectif d'arracher les aveux des détenus sous ses atroces supplices. De profondes amphores (cuves) à ouverture étroite destinées au stockage des vins accueillaient sombrement nos braves patriotes. La chambre des tortures était un espace sibyllin ou suspendaient des cordes grisâtres servant à hisser des fardeaux au dessus de bassins nébuleux aux eaux noirâtres. Ces fardeaux humains ficelés comme de vulgaires paquets sont plongés tels des chiffons dans ces liquides électrifiés. Une installation générant de violentes décharges électriques se trouvait entre les mains de redoutables bourreaux. Ces électrocutions provoquant d'ardentes brûlures et de fortes convulsions faisaient arracher aux âmes mutilées d'horribles hurlements résonnant dans les cellules. Certains reclus perdaient connaissance, d'autres, excédés, y laissaient leur vie. Les captifs attendaient dans la douleur les douleurs de l'interrogatoire. Les cris de terreur, les gémissements de souffrances, les complaintes, les lamentations et les larmes d'accablassions persistantes ne faisaient qu'accroître le désespoir et l'angoisse de ces condamnés à vie . Lorsqu'enfin arrive l'heure de l'interrogatoire, on intime aprêment au détenu de se mettre à nu et de s'asseoir sur une petite chaise. Aussitôt des questions offensantes accompagnées de propos dégradants et de divers coups violents s'abattent sur la victime. C'est ainsi affaiblie, le souffle coupé, qu'on attache comme on lie une bête pour lui faire subir l'affliction tant redoutée : l'immersion dans l'au poisseuse. Le torturé éprouve une sensation terrible d'étouffement ajoutée à cet état total d'abatardissement.Pas d'aveu. Aucun Aveu ? Le prisonnier rejoint sa cellule et se rétablit pour les pires châtiments. On ne sort pas indemne de Cortesse. La plupart sont handicapés à vie. Beaucoup trainent de longs sévères traumatismes. Certains sont atteints de folie, comme ce fut le cas du grand moudjahid Saïd Khoudi qui atteint d'une balle à la tête a continué ses jours après l'indépendance malade mentalement. D'autres succombent à la misère dans la totale indifférence. Saïd Khoudi est issu d'une famille de révolutionnaire, son frère aîné M'hamed fut tête de liste PPA-MTLD au conseil municipal de la commune de Bordj-Ménaiel. Saïd Khoudi était plusieurs fois interpellé par les services de police coloniales et de gendarmerie sans oublier les militaires français qui finirent par le ficher comme étant un dangereux perturbateur. C'est ainsi qu'il fut mobilisé en 1953, dans le cadre du service militaire en qualité d'insoumis. Après avoir refusé de subir le conseil de révision de sa classe, il fut affecté à la caserne Bizot de Blida malgré son attachement aux idées nationalistes, il profita de sa formation militaire pour décrocher le grade de sergent. Durant son séjour en caserne, il demeure lié à la structure d'attache (kasma PPA de Bordj-Ménaiel) et son chef le colonel Amar Ouamarane. Saïd Khoudi participa aux premières attaques de postes de gendarmerie, aux embuscades, accrochages avec les forces coloniales jusqu'à février 1955, où il prit les armes lors de l'accrochage de Tafoughalt (Draâ El Mizan), grièvement blessé, il fut récupéré dans un état comateux par les forces ennemies et dirigé sur l'hôpital militaire de Tizi-Ouzou, puis il rejoint Bordj-Ménaiel ou il subit les pires sévices et tortures, puis il fut incarcéré le 5 mars 1955 à la prison de Tizi-Ouzou dans un état de déficience mentale et psychique avéré. C'est dans cet Etat qu'il séjourna dans diverses prisons : Tizi-Ouzou, Barberousse, El harrach, Lambèse, les Baumettes de Marseille, il fut jugé pour deux affaires : désertion, vol d'armes et d'effets militaires, association de malfaiteurs et violences aux forces coloniales. Saïd Khoudi fut condamné à la prison à perpétuité mais il fut libéré et remis à sa famille, vu son état de débilité fin avril 1962. Il mourut malade mentalement le 21 mai 1963. Bordj-Ménaiel, qu'on le veuille ou non, a versé un lourd tribu durant la guerre de Libération nationale. Cette région peut se vanter d'avoir enfanté et d'avoir eu comme responsable militaire celui qui a été pour beaucoup dans les accords d'Evian, en l'occurrence Krim Belkacem, malheureusement on oublie vite les héros de la révolution comme le chahid Abbas Abdelkader dont la rue de la mosquée a été baptisé par son nom et dont des énergumènes ont enlevé la plaque pour des raisons que l'on ignore. Il est mort en chahid personne ne sait ce qu'il est devenu ce héros de la révolution, plus connu par Abdelkader El Meyette et où il a été enterré. Par cette façon de faire, on vient de le tuer une seconde fois. Abbas Abdelkader était un employé mécanicien au garage Torregrossa sise à Bordj-Ménaiel. Militant de la première heure, il était chargé d'effectuer des contacts auprès des nouvelles recrues pour la noble cause du combat à la liberté et l'indépendance. Abbas Abdelkader était un exemple de militant dont on n'a pas encore fini de vanter les mérites, tant son combat exemplaire pour la cause nationale était fait de dévouement, de courage, d'engagement et d'efficacité. Il s'était tellement donné à ce pays qu'il chérissait plus que tout au monde, au détriment de sa propre famille qui ne s'était jamais rassasiée de son visage. D'ailleurs sa mère Na Houria qui nous a quittés il y a de cela bien longtemps, a vécu les années post-indépendances dans l'espoir de le voir entrer un jour à la maison une fois l'indépendance acquise, malheureusement, personne ne sait où il est mort, comment il est mort, mais dans l'esprit et les cœurs, il demeure toujours vivant. Des chahids à l'image de Abbas Abdelkader qui ont sacrifié leur vie pour que vive l'Algérie libre et indépendante, ils sont très nombreux à Bordj-Ménaiel, tels les Takdjerad, Meflah Kaddour, Abaziz Slimane et Hocine, Chouchane Saïd, Aïchaoui, Sadek Benmansour, Aït-Amr Saïd, Boualem Ghalem et des centaines d'autres. Ils étaient valeureux. Bordj-Ménaiel a souffert le martyr. A ceux qui ont vécu la guerre et qui n'ont point goutté à la paix de l'indépendance. A tous ceux qui ont dignement survécu aux horribles tortures.