Le président turc utilise le meurtre du journaliste saoudien pour renforcer sa position sur la scène internationale, se placer au centre du jeu sunnite et affaiblir la monarchie wahhabite à Riyad. Il y a quelques mois, Recep Tayyip Erdogan apparaissait affaibli par la crise diplomatique avec les Etats-Unis, amoindri par les mauvaises performances de l'économie turque promise à la récession. Transformé par l'affaire Khashoggi, il est désormais celui qui donne le ton. Critiqué hier par la presse internationale pour sa propension à jeter ses journalistes et ses opposants en prison à la moindre critique, le président turc est devenu une source d'information de première main, faisant presque figure de défenseur de la liberté de la presse et dont le discours «de vérité», prononcé mardi 23 octobre devant les parlementaires de l'AKP, le parti islamo-conservateur qu'il a créé en 2001 et qui gouverne la Turquie depuis 2002, a été suivi par tous les grands médias internationaux. Au-delà de son caractère monstrueux, l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi – découpé en «quinze morceaux» par des barbouzes venues tout spécialement de Riyad selon la presse turque ; tué par inadvertance puis roulé dans un tapis et remis à un «intermédiaire turc» d'après des sources saoudiennes anonymes – révèle au grand jour la compétition existant entre la Turquie et l'Arabie saoudite pour s'affirmer en tant que porte-étendard de l'islam sunnite. Erdogan entend faire de l'affaire Khashoggi le catalyseur d'un changement de pouvoir à Riyad Ulcéré par le fait que les Saoudiens aient pu perpétrer un assassinat sur le sol turc, M. Erdogan entend faire de cette affaire, digne d'un mauvais film de série B, le catalyseur d'un changement de pouvoir à Riyad. En réfutant la version officielle avancée par le royaume, celle d'un interrogatoire ayant mal tourné pour Jamal Khashoggi, le numéro un turc veut prouver au reste du monde que le prince héritier Mohammed Ben Salman («MBS») n'est pas un partenaire fiable.