«A peine vécues» est l'intitulé d'une très belle communication réalisée le samedi 23 février 2019 de 10h à 12h par le plasticien algérien Denis Martinez qui, aujourd'hui, reste un des doyens de l'Art contemporain algérien. Il a débuté un long parcours aux beaux-arts d'Alger, au commencement des années 1960 en pensant avec les Mesli, Yelles et consorts comment rendre algérienne cette école de l'art héritée comme un butin de guerre. Ce fut ensuite pour Denis un parcours à Paris puis un retour ici bas à repenser la politique de la ronde bosse et du travail gréco-romain exclusif. Il s'agissait de reconsidérer l'enseignement artistique qui viserait à donner à la société algérienne renaissante des artistes citoyens plus que des faiseurs de scène de genres gratuite, et de «dessineurs de cartes postales». Ces rencontres du samedi, organisées dorénavant au sein de l'Esba, sont le fait de madame Amel Djenidi, directrice des études à l'école nationale de conservation et de restauration des biens culturels, sise à Dar Essouf et à l'initiative des désormais très connus «samedi de Dar Essouf» qui seront ensuite déclinés en «samedis du patrimoine», qui se tenaient depuis le 14 octobre 2017 jusqu'au 5 mai 2018 à Dar essouf, situé en pleine Basse-Casbah. On notera ainsi que la dive dame invitait et invite encore et toujours des grosses pointures universitaires sur des thèmes liés à l'art, l'histoire et le patrimoine nord-africain. Pour cette fois donc, Denis Martinez, membre fondateur avec Mesli du Groupe mythique «Aouchem» lancera dans son manifeste que «le signe est plus fort que les bombes», et donc l'enseignement était aussi efficace en présence de la réalité du terrain, que dans les confortables salles de l'école des Beaux-arts. Dès 1985, sous l'impulsion du dynamique Ahmed Asselah, l'école des Beaux-arts d'Alger deviendra enfin supérieure et acquerra ainsi un statut particulier. Denis Martinez sera un des acteurs majeurs de cette nouvelle aventure, il veillera ainsi à créer du mouvement dans les chevalets et sortira dans une nouvelle approche pédagogique ses étudiants vers d'autres horizons. Il faut dire que la rencontre du samedi s'est réalisé en présence d'un public fort nombreux, Denis Martinez est revenu avec une certaine émotion à la genèse de trois actions- phares qui ont pour des soucis de pérennité fait l'objet d'une édition de Dominique Devigne aux éditions Apic sous l'intitulé «A peine vécue…», un livre préfacé par le sémillant Nourredine Saadi autours de trois actions picturales expérimentales réalisées en Algérie entre 1986 et 1987, sous la direction artistique de Denis Martinez. Rappelons, à cet effet, que Dominique Devigne, est photographe et vidéaste, elle a suivi depuis une trentaine d'années les traces artistiques de son compagnon Denis Martinez, on lui doit d'ailleurs quelques témoignages privilégiés sur de nombreuses interventions et actions artistiques comme le Revade Artistique en 1991, des rencontres à la Friche Belle de Mai, des captations à l'Ecole supérieure des Beaux-arts d'Aix en Provence, des rencontres artistiques et actions à Mostaganem, à El Goléa, Marseille, Milan, tout cela en suspens entre performances, actions sur les murs, poésie, et aussi, cette rencontre de festival nomade «Raconte-Arts» depuis 2004 à nos jours…le chemin continue et à un certain moment, le plasticien-poète va s'arrêter pour nous conter les pistes de ces trois aventures picaresques de murs qui n'ont pas encore tout dit. Dans son intervention, Denis Martinez évoquera donc le contexte général dans lequel l'école des Beaux-arts avait émergé avec le soutien du défunt Ahmed Asselah alors directeur de cette grande institution. Les étudiants, portés par leur professeur sortent de l'enceinte, ils interviennent en 1986 sur un mur situé dans un quartier interlope de Blida, le mur est voué à la destruction, mais l'éphémère de l'action concrète va laisser le paradoxe d'une postérité de l'œuvre sur les photos de Dominique Devigne, le travail sera porteur et prolixe en concepts immortels ensuite sur la parution du livre. Ce sera ensuite une intervention par une succession d'effets du hasard à In-Amenas dans une base vie de Sonatrach simultanément à une action au PK5 en peignant sur des pipelines et aussi sur les murs de la Maison de jeunes de la ville. Et enfin les actions prennent leur vitesse de croisière sur les murs -une vingtaine- de la future université de Soumaâ près de Blida, l'anecdote voudra que le directeur de l'ESBA amènera lui-même la bourse aux étudiants pour ne pas les léser dans leur action. L'abnégation de tous était donc au rendez-vous pour instaurer un nouveau regard sur les choses dans un esprit d'ouverture qui reste à nos jours une philosophie prégnante. Ces actions ont fait leur temps, tous les travaux artistiques conçus ont aujourd'hui disparu, ils ont été chargés dans les camions à benne, repeints dans la blancheur indécente des censures les plus abjectes, emportés par les grains de sables «Sisyphiens» dans l'expression libre, l'inspiration féconde et dans les rêves les plus fous…Aujourd'hui la plupart des artistes qui ont fait les murs sont des plasticiens à temps complet, ils ont quasiment tous un parcours pertinent et font pleinement partie de l'histoire de l'art algérien, ils s'appellent Belkhorissat, Sergoua, Messoubeur, Nacib, Tidjani, Spahis, Slimani, Ouadahi, Chaouchi, Chabane, Boussouira, Atek, Fermas, El-Kentar, Bourayou... Les actions partent et les écrits restent, et la communication réalisée par Denis Martinez en compagnie de la discrète Dominique Devigne, affectueuse égérie, complice de toutes les aventures aura laissé au public quelques points de suspension qui disent en fait que le meilleur reste encore à faire. Le livre très bien réalisé dans une esthétique et un papier de haute facture est dédié en hommage à Ahmed et Rabah Asselah, assassinés à l'intérieur de l'Ecole Supérieure des Beaux-arts d'Alger, en un funeste 5 mars 1994. Succinctement le plasticien Denis Martinez est peintre et poète algérien, il est né le 30 novembre 1941 à Mars-el-Hadjadj, ex : Port aux Poules, prés d'Oran, Denis Martinez figure parmi les plus importants artistes algériens contemporains. Il a été enseignant à l'Ecole Supérieure des Beaux Arts d'Alger de 1963 à 1993. On notera qu'en 1967 il est fondateur, avec Choukri Mesli, du groupe Aouchem (tatouage). Il part à Marseille en 1994, il enseigne à l'Ecole Supérieure d'Art d'Aix-en- Provence jusqu'en 2006. Dans un riche parcours, il a été l'initiateur de plusieurs manifestations artistiques en France, dont «Culture Algérienne Cultures Vivantes» en 1995 à la Friche de la Belle de Mai réalisé à Marseille, et «Expressions algériennes contemporaines» en 2000 à Aix-en-Provence et «Jonctions» Djazair en 2003 à la Friche de la Belle de Mai. Depuis 2000, il réoccupe régulièrement son atelier dans sa demeure familiale à Blida. En juillet 2004, il participe avec Hassan Metref et Salah Silem, à la création du festival nomade «Raconte Arts» en Kabylie, ce qui l'amène donc à partir de cette date à se lancer dans une aventure qui l'amène à intervenir régulièrement avec des créations éphémères in situ dans les Tajmaats de différents villages de Kabylie. Denis Martinez a des œuvres au Musée Nationale des Beaux-arts d'Alger et dans des collections particulières et publiques en Algérie et en France. Il est l'auteur de plaquettes de poésie, comme celle de la «fenêtre du vent», de portfolios, anthologies illustrées, bande-dessinées, etc.… Il a été l'objet de réalisations écrites réalisées par l'écrivain Feu Nourredine Saadi qui a publié Denis Martinez, peintre algérien aux éditions Barzakh-Le bec en l'air. Et le cinéaste Jean-Pierre Lledo lui a consacré trois courts métrages (1985,1996). Sa compagne Dominique Devigne, a réalisé plusieurs courts métrages vidéo sur ses interventions en Algérie de1990 à nos jours. En 2013, le cinéaste Claude Hirsh lui consacre un film intitulé : «Denis Martinez, un homme en libertés». Le plasticien continue son parcours éloquent et il prépare actuellement une exposition pour le printemps prochain à l'Espaco, regroupant des photos, dessins, œuvres graphiques et numériques et peintures…On le retrouve périodiquement sur ses autoéditions poétiques et graphiques intitulées «La fenêtre du vent». «A peine vécues» communication réalisée le samedi 23 février 2019 de 10h00 à 12h00 à l'Esba d'Alger, et livre de Dominique Devigne, «A peine Vécues» Trois actions expérimentales en Algérie 1986-1987 sous la direction artistique de Denis Martinez, préface de Nourredine Saadi, éditions Apic, Alger 2017.