M. Sabri Boukadoum, le ministre des affaires Etrangères actuel, a devant lui une tache des plus ardues. Ce pur produit de la grande tradition diplomatique algérienne post indépendante doit réaliser deux tâches dans le même mouvement. Traduire sur la scène internationale le pacifisme d'un mouvement social sans précédent dans le pays et à l'échelon arabe face à des partenaires traditionnels inquiets de la profondeur subversive du « Hirak ». Il se doit par ailleurs, de préparer une diplomatie d'après 22 Février, forcément faites de réaménagements induits par les exigences profondes exprimées par le mouvement populaire. Radioscopie de la géostratégie du Hirak, de ce qui évoluera et de ce qui restera immuable dans la perception que les algériens, Peuple et Etat ont de leur environnement international. Deux drapeaux ont émergé du Hirak sur l'ensemble du territoire national, de manière naturelle, c'est-à-dire organique, le drapeau du mouvement national, frappé des symboles de l'Islam et celui de la Palestine. Une troisième bannière, artificielle celle-là, agitée par les fractions berbéristes infranationales, essentiellement à Alger et en Kabylie, fait l'apologie dans ses couleurs du monde de la nature et du matérialisme vulgaire qu'elle cherche à opposer de manière infantile à l'élévation spirituelle monothéiste sacrée caractéristique intrinsèque et permanente du Peuple algérien comme le sont la question Palestinienne et la libération de Jérusalem. Aussi, l'appel du nouveau Ministre des Affaires Étrangères pour un plan d'action arabe lors de la réunion de la Ligue Arabe qui s'est tenue le 22 avril au Caire aura fini d'édifier ceux qui auront imaginé que la déstabilisation, façon printemps arabe, aurait pu abattre le mouvement national dans ses revendications diplomatiques constantes. Le Hirak en brandissant bien haut la cause palestinienne dans toutes ses marches rappelle à ses autorités et à la face du Monde ou se situent les priorités de l'heure. La question sahraouie relevant du principe d'un droit à l'autodétermination des Peuples, acquis par les algériens au prix de millions de martyrs a vu à l'ONU, lors du renouvellement du mandat de la MINURSO, notre diplomatie mettre en œuvre, de manière bien plus appliquée qu'auparavant, des alliances russes et sud-africaines nées des dynamiques du « Heartland » russo-chinois contre les pressions françaises, mues par des logiques inscrites dans l'étendue de son domaine maritime qu'elle perçoit comme l'outil privilégié de sa puissance sur laquelle s'appuie pour des raisons tant économes qu'homothétiques l'administration américaine. Une troisième permanence fonde l'action algérienne, celle du fédéralisme maghrébin au nom duquel elle s'estime interpellée, en Libye, non seulement pour des raisons sécuritaires évidentes qui la concerne mais également pour des objectifs d'homogénéisations des intérêts stratégiques des Peuples, prélude à celui des devenirs d'une région qui comptera bientôt 100 millions d'habitants. Mais en même temps qu'il affirme la continuité diplomatique de son identité profonde, insufflant une détermination renouvelée à ses causes sacrées, le « Hirak », mouvement de contestation sociale d'une ampleur inédite à l'échelon des Nations est d'abord une remise en cause profonde de l'ordre rentier mondialisé. Le dynamisme démographique du pays allié à sa politique généreuse de massification de l'enseignement n'a pas pu trouver son expression sociale dans des offres d'emplois en adéquation avec les potentiels exprimés par sa jeunesse. La raison générale relative à la rente en est connue mais ses causes spécifiques méritent d'être soulignées pour mieux circonscrire la tâche diplomatique à accomplir. Le pays est resté prisonnier de ses partenariats diplomatiques européens en raison des spécificités régionalisées du marché du gaz d'une part et d'une situation géostratégique de cette forme d'énergie désavantageuse du point de vue de son potentiel de transformation et d'industrialisation. L'Europe proche est un continent riche mais dépendant du gaz russe pour faire tourner ses industries. Elle se voit limitée dans ses échanges commerciaux avec Moscou par la domination impériale US tout à l'approvisionnement de son appareil militaro-industriel nourri des transferts réalisés grâce au système des pétrodollars, finançant par le reste du Monde son déficit structurel et ses instruments de domination militaires (l'OTAN) et culturels (Internet). Recadrant efficacement par une stricte politique de rétorsions commerciales sur son marché intérieur – primordial pour les biens et services marchands de la CEE - toute velléité de coopération européenne avec le géant russe Gazprom les américains souhaitent cantonner l'industrie algérienne du gaz à sa dimension de fournisseur alternatif de Moscou, pour ainsi desserrer une stratégie de l'étau pensée à leurs détriments par Vladimir Poutine. Le soutien par les américains du Qatar, puissance gazière de tout premier ordre, dans son ambition d'exportation de son gaz vers les marchés européens tient de la même évaluation. C'est dans ce cadre général de la confrontation américano-russe qu'il faut mesurer les relations complexes qui lient les Etats-Unis et l'Europe d'une part et les Etats-Unis et le Qatar d'autre part, ce dernier étant utilisé comme moyen de pression contre l'Algérie en alliance des forces corrompues liées au pétrole au sein du régime politique, de la Sonatrach et de l'ex appareil de renseignement algérien. Le Hirak comme levier d'une énergie enfin fructifié Il sera d'autant plus difficile de se sortir de ces considérations géopolitiques structurantes que nos investissements dans des gazoducs, mode de transport inhérent à la forme de cette énergie aux débouchés régionaux et non pas mondiaux nous oblige à poursuivre un partenariat diplomatique de la segmentation géographique au long cours au final peu avantageux. Deux petites fenêtres, traçant de nouvelles perspectives mondialisées se sont offertes à nous. La première fut la valorisation du gaz en ammoniac bradée sur l'autel des gangsters de la République avec le démantèlement de Fertial au profit de Haddad et des Espagnols dans un premier temps jusqu'à ce que l'acquisition d'un hôtel de très grand luxe à Barcelone par Ali Haddad dans le cadre de la revente de ses actions dans Fertial à Sonatrach ne vienne clore un tour de passepasse de transferts de devises au profit du protégé de Saïd Bouteflika. La seconde opportunité consiste en la transformation du gaz en électricité au profit du bassin méditerranéen y compris l'Europe du Sud. La ceinture de feux qui se propage le long des côtes sud de la méditerranée ainsi qu'en Grèce et en Turquie pays auxquels sont reprochés un orientalisme irrédent, sous une active instigation américaine, interdit tout espoir à court terme du coté Est de nos frontières, privant la sous-région d'une puissante dynamique de concentration des futurs alors que l'Europe reste hostile à toute dépendance électrique. Quant au pétrole algérien, dont la séquence de valeurs ajoutées est plus ouverte que celle du gaz, impulsant à chaque étape de sa chaine de production une véritable sphère marchande de la retro-commission, il se trouve prisonnier de forces actives dans l'appareil d'Etat et au sein de la Sonatrach, pour limiter sa transformation et donc brider un redéploiement fécond de nos actions diplomatiques suivant de nouvelles lignes de force. Il n'y a qu'à se remémorer la véritable levée de boucliers provoquée par une acquisition de bon sens, celle de la raffinerie sicilienne d'Exxon, à défaut de la possibilité de constructions de raffineries sur notre sol, projets contrecarrés systématiquement depuis trente ans par le lobby de l'export du Nafta en synergie de celui de l'importation du diesel, pour comprendre combien notre pays était prisonnier d'une alliance mafieuse liant l'ex Renseignement militaire aux forces locales et internationales agissant pour le maintien de la Nation dans une activité asservie à la rente dans sa forme la plus primaire. L'exigence de l'élargissement de la sphère de la production et des services dans et en dehors de la sphère des hydrocarbures posée par le Hirak remet inéluctablement en cause le modèle atrophié de notre industrie énergétique. Quelle que soit la nouvelle direction politique, elle n'aura désormais d'autres choix que de se préoccuper sérieusement d'une intégration à l'ordre énergétique mondial plus bénéfique en liaison avec les techniciens pétroliers patriotes. A l'appareil diplomatique de trouver autre chose que la confortable ritournelle rentière de « l'Algérie exportatrice de stabilité » pour s'atteler toutes affaires cessantes à dessiner de nouvelles convergences géopolitiques, en recourant au besoin à une stratégie de « l'instabilité constructive », le « Hirak » étant la plus dense des masses de manœuvre, afin d'élargir nos horizons rentiers et marchands. L'Arabie Saoudite peut-être de ces nouvelles perspectives, elle qui a su, grâce à une politique avisée de la SABIC devenir un acteur incontournable dans le secteur des fibres synthétiques. A défaut d'une stratégie de « containment » du Hirak dont elle n'a plus les moyens financiers, Riad pourrait être tentée d'offrir à Alger des espaces économiques de concertation qui lui éviteraient la contagion de nouveaux rapports entre gouvernants et gouvernés qui se font jour de manière insistante au Maghreb arabe. Est-ce dans ce cadre qu'il faut comprendre la réception exceptionnelle, par le Roi Salmane Ben Abdelaziz de Sabri Boukadoum le 30 avril dernier ? L'hypothèque de l'ex Renseignement militaire à direction laïco-algérianiste maintenant levée permettra non seulement de libérer le secteur de la Justice, de démocratiser l'acte d'investissement mais également de projeter la diplomatie algérienne vers ses responsabilités naturelles en direction des causes arabes et islamiques en synergie de ses préoccupations économiques légitimes ; ce dont elle fut empêchée par une tendance berbériste capitularde pendant 20 ans, raison essentielle de son isolement sur la scène arabe et islamique. Le blé russe, un modèle potentiel de didactique diplomatique Aux côtés de la valorisation énergétique, la sécurisation alimentaire est pour l'Algérie une obsession immédiate. L'analyse du commerce extérieur du pays nous montre qu'année après année, la France s'en taille la part du lion. Le rapport 2017 de la Banque Centrale indique que les biens alimentaires représentent 17% de la structure de nos importations soit plus de 8 milliards de dollars en valeur de l'ensemble de nos importations. L'essentiel de cette facture se concentre sur les céréales, le lait, l'huile et le sucre. Sur ces quatre filières stratégiques de la sécurité alimentaire qui constituent un nœud gordien de la souveraineté nationale, deux ont été « confiées » de manière monopolistique au groupe privé Cevital (le sucre et l'huile) et deux autres sont pilotées par l'Etat à savoir les céréales et le lait. A y regarder de plus près, l'ensemble de ces 4 filières vient alimenter, directement ou indirectement la balance des paiements de la France dans sa section Grand Export. Le commerce extérieur du pays fonctionne en appauvrissant le trésor public algérien et en enrichissant son homologue français. Si l'économie joue en faveur de Paris, constat implacable d'une relation bilatérale inégale, rien ne semble pouvoir convaincre la France de considérer l'Algérie autrement qu'un marché pour son industrie et ses services au détriment de l'investissement créateur d'emplois. De tels comportements opportunistes appellent à une réduction dans un premier temps de 30% des importations céréalières en provenance de Paris au profit de Moscou, manière la plus efficace pour relancer des relations économiques avec Paris sur des bases plus équilibrées. D'autant que l'offre alternative de blé russe présente un double avantage : elle est plus compétitive sur le plan commercial et provient d'un pays qui fournit du gaz à la France. Voilà comment, en jouant intelligemment sur la masse de manœuvre offerte par le déséquilibre de notre commerce extérieur, nous pouvons freiner voire annuler l'érosion de nos positions sur le marché du gaz européen face au Qatar par exemple qui ne peut pas offrir de débouchés permanents en raison de sa faiblesse démographique et de l'étroitesse de son marché intérieur, exception faites des armes….françaises qu'il a su habilement négocier en contrepartie de parts de marchés supplémentaires concédés par Paris sur…le gaz au détriment de…l'Algérie. C'est de la conjonction d'un renseignement militaire défaillant et d'une action diplomatique du renoncement que naissent tous les Tinguentourine du monde. Le peuple algérien et sa nouvelle diplomatie devront impérativement s'en souvenir.